Chapitre 2

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Catalina

En ce début de printemps, il fait plutôt beau dans le Bronx. Pas moins de dix-sept degrés au lever du soleil. Pourtant, un petit vent frais s'engouffre doucement sous mon t-shirt délavé. Je frisonne et mes tétons pointent sous mon vêtement. Je regrette déjà d'avoir oublié d'emporter une veste, juste au cas où.

Je ne me sens pas vraiment en sécurité en traversant la rue sous les faibles éclairages des réverbères dont certains sont cassés et ne servent plus que de décoration. Quelques voitures garées le long du trottoir de la tour vibrent au rythme sourd de musique hip-hop. Adossés sur le capot, une bande de jeune fument et rient. Je les connais ces garçons, ce sont des amis d'Alejandro. Ils sont plutôt sympas avec moi, mais j'évite tout de même de les approcher d'un peu trop près. Ce sont juste des connaissances et plus ils se tiennent éloignés de moi, mieux je me porte. Un peu plus loin, ce trouve deux jeunes ados, ils ont l'âge d'Arturo, seize ans environ. Ils servent de guet au coin des rues pour sauver la peau des dealers. Ces gamins prennent ce travail pour un jeu, ça les amuse de jeter des caillasses sur la police quand ils leur arrivent de visiter notre quartier. Mais ce qui les attire le plus, c'est bien évidemment la liasse de billets que leur tendent les caïds en fin de journée. Ces pauvres gosses n'ont souvent aucun repère et ont quittés l'école depuis trop longtemps. Mes cousins ont cette chance que peu de jeunes possèdent ici, une maman qui travaille et qui les poussent dans leur scolarité. Elle n'est pas souvent là, mais le soir, quand elle rentre, elle consacre son temps à aider ses enfants à faire leur devoir. Elle aimerait tellement que ses gosses réussissent dans la vie et ne se tuent pas à la tâche chaque matin comme elle est obligée de le faire.

Maria souhaiterait partir d'ici, s'enfuir pour vivre à New York. Ce n'est pas si loin du Bronx, mais c'est une ville beaucoup moins dangereuse et qui offre une vie différente pour ses habitants. Seulement trente minutes en voitures séparent ces deux lieux, et pourtant tout un monde les différencie. Ma tante est consciente que ce n'est pas son travail modeste de femme de ménage qui lui permettra de réaliser son rêve. Elle a déjà beaucoup de mal à joindre les deux bouts alors mettre un peu d'argent de côté semble utopique. Mon rêve à moi, c'est de la voir heureuse, tout simplement. Je ne lui serais jamais assez reconnaissante de m'avoir recueillie chez elle. C'était un choix qu'elle a pris sans réfléchir malgré sa situation financière précaire, mais elle m'assure chaque jour que c'était la meilleure décision qu'elle ait prise. Je l'aime, peut-être autant que ma propre mère et j'espère un jour l'aider à se sortir de ce trou à rat.

Je mets donc toutes les chances de mon côté en travaillant suffisamment à l'école, j'espère ainsi décrocher une bourse d'étude à la fin de l'année pour pouvoir partir à l'université et m'éloigner enfin de ce quartier. Mais dans l'établissement où je me trouve ce n'est pas toujours facile de suivre les cours. Les mecs foutent le bordel et se fichent d'être au bahut, tandis que du côté des filles, la plupart sont enceintes ou maquées. Difficile de se faire des amies dans ses conditions, d'ailleurs, je n'en ai pas réellement.

Il y a Andréa, avec qui je m'entends bien, mais sa famille n'est pas croyante alors elle en profite pour se faire tous les mecs de la ville. Je me demande d'ailleurs comment elle fait pour ne pas être en cloque avec tous ces garçons qui lui passent dessus. Je ne devrais pas parler ainsi de mon amie, elle a tout à fait conscience de son comportement, mais se fiche de ce que les autres peuvent en penser. En dehors de cette différence entre nous, je l'apprécie beaucoup et c'est une fille très gentille.

J'arrive devant l'église Salem United, boulevard Castle. C'est le seul lieu de culte presbytérien dans le Bronx. Elle est petite, mais suffisante pour les habitants d'ici. Bien que notre communauté soit fortement croyante, les gens qui viennent prier se font de plus en plus rare. Quelque fois, il arrive que Veronica m'accompagne pour se confesser, mais elle s'attarde rarement.

Quant à Maria, elle n'a plus mis un pied ici depuis que son mari est décédé. Elle refuse d'aborder le sujet, alors, à la maison c'est devenu tabou sans que je n'en connaisse la véritable raison. Il faudrait que je demande à Veronica un jour, peut-être qu'elle en sait un peu plus.

Je pousse les deux lourdes portes en bois et l'atmosphère du lieu m'envahi : je me sens chez moi. Surprise par la fraîcheur de l'endroit qui contraste avec la chaleur de la rue, mes bras frissonnent.

Je perçois dans le silence, des bruits étouffés de gens qui chuchotent et qui prient à mi-voix. Je sens l'odeur si particulière du bois ciré, de l'encens et de l'humidité. Je savoure l'instant et me sens apaisée. Comme chaque matin, j'avance, essayant de ne pas déranger les croyants et me dirige vers la chapelle latérale. Je ne vois pas le pasteur Hernandez, il doit être dans son bureau.

J'allume un cierge tout en restant debout et ferme les yeux. Mon corps est en harmonie avec mon esprit, plus rien n'existe autour de moi, je suis dans ma bulle. Mes prières sont concises et communes, j'aspire juste à une vie paisible, sans problème. Que Maria puisse trouver un travail moins fatiguant et qui lui permette de vivre plus aisément. Qu'Arturo soit en paix et que l'on ne juge pas ses choix. Qu'Alejandro s'adoucisse et qu'il reprenne enfin son existence en main. Que Veronica et Rosa restent en bonne santé et qu'elles soient heureuse.

Je fais le signe de croix et je m'apprête à quitter le lieu sacré quand le pasteur m'interpelle doucement. Je n'avais pas aperçu qu'il était sorti de sa tanière. Ses yeux noirs entouré de profondes rides me scrutent Je le salue et lui souris chaleureusement.

- Catalina, comment te sent-tu aujourd'hui ? me demande-il.

Il se fait du souci pour moi, cela fait une semaine que je ne suis pas venue à l'église et il s'en est aperçu. J'ai eu un petit passage à vide, je n'arrivais plus à réciter une seule prière.

- Très bien et vous, mon père ?

- Je vais bien merci beaucoup. Catalina, laisse-moi te présenter Fernando, il sera présent à mes côtés pendant quelques temps. C'est un stagiaire.

Je n'avais même pas remarqué la présence de ce jeune homme. Pourquoi est-ce que le révérend Hernandez aurait besoin d'un stagiaire ? Je ne l'avais jamais aperçu avant aujourd'hui. Je pose mes yeux sur l'inconnu en question. C'est un homme à l'allure distinguée, vêtu d'un costume sombre. Sa peau est aussi bronzée que la mienne, ses origines ne laissent place à aucun doute : il est mexicain tout comme moi. Ses yeux me regardent avec curiosité, ils sont presque noirs, intimidant. Son visage est agréable, c'est un bel homme. Une croix en or dépasse de sa chemise, il se tient droit comme un piquet, les mains dissimulés derrière son dos. Puis, il finit par me sourire dévoilant ses dents parfaites. Il est à la fois charismatique et mystérieux. Il dégage une aura presque inquiétante. J'ai l'impression de l'avoir déjà vu, mais impossible de me rappeler où.

Je lui tends la main, la sienne est chaleureuse.

- Ravis de vous connaître Catalina. Révérend Hernandez dit de vous que vous êtes la chrétienne la plus assidue de son église, j'espère donc que nous aurons l'occasion de nous revoir.

Il parle d'une voix calme et sincère, pourtant quelque chose me gêne dans ses propos, comme s'il m'ordonnait, en un sens, de revenir. C'est une sensation étrange, un mal-être en sa présence. Je hoche la tête car je ne sais pas quoi répondre à cela.

- Passez une bonne journée Catalina, me lance le père Hernandez. Avant d'ajouter : que dieu vous bénisse.

Le moins qu'on puisse dire c'est que le regard de ce futur prêtre me perturbe.

Je tourne les talons, me cognant le tibia sur le coin d'un banc en bois. Je continue comme si de rien n'était, fermant les yeux un instant pour oublier la douleur qui me lance la jambe. Je quitte le cœur de la maison de Dieu et me dirige vers l'arrêt de bus le plus proche. Veronica et son frère sont déjà là ainsi que quelques autres étudiants.

Je monte dans le bus quelques minutes plus tard et mon esprit tente de retrouver où j'aurais pu croiser ce fameux Fernando. Je m'installe à coté de ma cousine et prends le siège près de la fenêtre. Heureusement qu'elles sont ouvertes sinon je pense que la chaleur aurait déjà eu raison de moi. Je pose mon front sur la vitre et laisse mon esprit vagabonder.

Je regarde le paysage de tours en bétons défileren me frottant la jambe encore douloureuse à cause de ma maladresse, avant deme rendre compte que nous sommes déjà arrivés au lycée.

CatalinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant