Chapitre 8

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Catalina

Je suis complétement trempée lorsque j'ouvre la porte de l'appartement. Il fait déjà presque nuit lorsque je rentre, l'horloge de la cuisine indique plus de dix-huit heures. J'ai donc passé une bonne partie de l'après-midi à pleurer et à me faire soigner par Fernando. J'irai le remercier plus tard pour ce qu'il a fait pour moi.

J'entends des gouttes d'eau tomber sur le parquet, je ne sais même pas si ça vient de mes vêtements ou de mes longs cheveux. Je me dirige vers la chambre, prend un pyjama et repart en direction de la salle de bain. Heureusement, personne ne croise mon chemin. Je fais couler l'eau de la douche et attend qu'elle soit chaude avant de pénétrer dans la cabine. Je retire mes vêtements détrempés, dénoue ce qu'il reste de mon chignon et me détends sous le jet d'eau. Encore une fois je pleure, laissant jaillir ma peine au rythme du ruissellement sur mon corps endolori.

Au bout d'un certain temps, je décide de me savonner. La bonne odeur du gel douche me donne un peu de baume au cœur. J'ai complètement oublié de retirer le pansement sur mon pied. Je l'extirpe d'un coup sec en m'agenouillant. Une grimace se dessine sur mon visage tandis que j'encaisse une nouvelle fois la douleur.

J'ai menti tout à l'heure à Fernando, je n'irai pas consulter un médecin. D'une part, le budget de Maria est restreint et nous nous rendons au cabinet médical seulement en dernier recours. Et bien que j'ai extrêmement mal, ce n'est pas une urgence, je pourrais très bien aller voir l'infirmière de l'école ça suffira. En plus, je serai certainement dispensée de sport à cette occasion. Je souris pour la première fois en pensant à ça. D'autre part, ce serait avouer à Maria les circonstances qui m'ont amenée à me blesser et ça, c'est hors de question. Ma tante se ferait un sang d'encre pour moi et m'interdirait de sortir pendant plusieurs jours, même pour me rendre en cours. Je dois retourner au lycée ne serait-ce que pour avoir des nouvelles de mon amie.

Je voudrais savoir comment va Andréa, ce qu'ils lui ont fait. Si par malheur, il s'avère que ces ordures lui s'en sont pris à elle, j'aimerais avoir connaissance de ce qu'elle compte faire. Je ne pense pas qu'elle réagisse comme moi, c'est à dire dissimuler ses peurs, ses angoisses à ses proches. Andréa est plutôt du genre « expansive » et quoi qu'elle ait subi, je suis persuadée qu'elle en parlera à ses parents. Son père qui est un homme d'influence n'en restera pas là, c'est certain. De mon côté je n'ai pas le droit de prendre les devants sans savoir ce qu'il lui est arrivé. Je ne peux même pas parler de sa disparition à la police car je sais très bien comment ça fonctionne dans ces moments-là. Ils m'affirmeront qu'elle était consentante ou alors que sa réputation n'est plus à refaire... En plus, je n'ai pas moyen de la joindre, je ne connais ni son numéro de téléphone ni son adresse. Il va falloir que je patiente jusqu'à demain. S'il le faut nous sècherons les cours pour en discuter, elle aura sûrement besoin de l'épaule d'une amie. S'ils l'ont emmené, ce n'est certainement pas pour la regarder dans le blanc des yeux.

Après m'être séchée et enfilée mes vêtements de nuit, je retourne dans ma chambre. Je m'adosse contre la tête de lit, genoux repliés contre ma poitrine et laisse mon esprit divaguer. Je repense à mes parents dont la photo posée à côté de moi, appelle mes souvenirs presque déjà lointains.

Je songe au moment où je suis arrivée ici, aux études que je ne pourrais poursuivre si je n'obtiens pas une bourse de fin d'année, à Andréa évidemment, à mon oncle décédé, qui n'existe plus que sur des portraits accrochés aux murs du salon. Tout se bouscule dans ma tête et je n'arrive pas à me détendre. Je décide donc de lire un peu avant que tout le monde ne rentre. Je saisi le premier roman sur l'étagère, il s'agit du premier tome de la saga Harry Potter. C'est Maria qui me l'a acheté l'année de mes seize ans, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire, trop concentrée dans mes études et aussi aux taches de la vie quotidienne. J'ai grand besoin de penser à autre chose qu'à ce qui vient de nous arriver avec mon amie, de méditer sur des trucs positifs. C'est le moment propice puisque je suis seule. Mais après une cinquantaine de pages, je peine à entrer dans l'histoire.

Je me lève du lit, le faisant grincer au passage, et replace le livre sur l'étagère, je le continuerai plus tard. De toute façon, je viens d'entendre la porte d'entrée claquer, il faut que je me prépare à affronter le regard de ma famille. Mes yeux sont encore un peu bouffis d'avoir trop pleuré, mais j'ai réussi à les camoufler sous un léger maquillage. Je me pince les joues pour obtenir une couleur légèrement rosée sur celles-ci. Je me force à porter un masque pour éviter d'avoir à expliquer ce qu'il m'arrive et je vais les rejoindre.

Quand j'arrive au salon où sont installés toute la troupe ainsi qu'Alejandro, qui apparemment a l'air de se souvenir qu'il a une mère et des frères et sœurs, j'ai l'impression qu'ils m'observent tous et devine que je ne suis pas en grande forme. J'évite de les fixer en prenant Rosa dans mes bras. Elle m'embrasse rapidement sur la joue puis fini par me donner des coups de pieds pour que je la lâche. J'affiche un faux sourire sur les lèvres et demande où ils étaient tous passés.

- On est allez au parc, puis j'ai rencontré une amie de longue date, alors elle nous a invité chez elle pour boire un café le temps que la pluie cesse, me répond ma tante. Et toi, ta journée avec Andréa s'est bien passée ? Qu'a-t-elle pensé de sa première visite à l'église ?

Je danse d'un pied sur l'autre, mal à l'aise. Je fini par lui sortir une phrase banale. Je me souviens qu'Andréa était enthousiaste à l'idée de découvrir un peu de mon monde qu'elle ne connaît pas, alors je me concentre uniquement sur cette partie. Heureusement, elle n'insiste pas et se dirige en cuisine pour préparer le repas. Par contre Alejandro m'attrape le bras fermement et m'entraîne dans la chambre qu'il partage avec Arturo en claquant la porte derrière lui.

- Ça va pas où quoi, qu'est-ce qui te prend ? je lui cris en me frottant le bras rougit par la force de sa poigne.

- J'étais en bas du bloc avant de remonter ici. J'ai entendu des mecs se vanter d'avoir agressé deux meufs près de l'église. Il parait que l'une des deux n'est pas d'ici.

- Et alors, dis-je pour tenter d'échapper à l'inévitable.

- Est-ce que c'était toi et ta copine ?

Je baisse les yeux, voulant cacher les larmes qui menacent encore une fois de s'échapper de mes orbites. Je respire un bon coup et décide de lui dire la vérité, de toute façon, il le saura un jour où l'autre. Je me racle la gorge et lui raconte tout, sans lui cacher quoi que ce soit. Il fronce les sourcils lorsque j'évoque Fernando. On a beau avoir très peu de points communs, il reste tout de même un cousin protecteur.

- Est-ce qu'ils t'ont touchés ? demande-t-il la mâchoire contracter et les poings serrés.

- Non, un des leurs me connaissait apparemment, il a fait passer le message de me laisser tranquille.

- Putain, ils sont vraiment cons ! Je crois savoir qui a agressé ta copine. J'ai fait semblant de rien, mais j'ai tout écouté. Tu peux penser ce que tu veux de moi, mais toucher à une fille, je n'accepte pas, finit-il par lâcher, brisant un peu de sa carapace.

C'est la première fois qu'il se confie un peu à moi, alors je ne réponds pas de peur de briser notre lien si fragile. Je lui demande de se renseigner et de me tenir au courant s'il apprend quelque chose. Je lui dis de garder sous silence ma confession auprès de Maria, je ne veux pas qu'elle se fasse du souci. Nous sortons tous les deux après un silence gênant. Maria fronce les sourcils à son tour, on dirait son fils quelques minutes plus tôt. Je lui souris et lui fait un signe de tête pour la rassurer, lui dire que tout va bien. Elle sait que ma relation avec son fils est tendue alors elle doit penser que nous nous sommes encore disputés.

On s'installe à table et pour une fois, nous sommes tous réunis. J'aperçois même Alejandro et Arturo échanger quelques paroles, eux qui sont si distant d'habitude. Mon humeur s'est apaisée, j'ai même réussi à manger un peu.

Je vais coucher la petite Rosa et rejoins mon lit à mon tour. Je suis tellement exténuée qu'à peine quelques minutes suffisent à m'endormir.


CatalinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant