Chapitre 6

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Catalina

Des mains aussi larges que mes épaules se posent sur celles-ci, tandis que mes larmes ne cessent de couler. Je sursaute et me retourne vivement, je ne supporte pas que l'on me touche. Fernando me lâche et se redresse, son regard se perd autant que le mien.

- J'ai entendu hurler à travers les murs du bâtiment. Je venais m'assurer que tout allait bien. Catalina, que s'est-il passé ?

J'essuie mes larmes rageusement. Jusqu'à maintenant, je n'avais pas pensé aux pratiquants venus se recueillir et écouter la douce voix rassurante du père Hernandez. Que vont-ils penser de moi ? Moi qui suis si discrète depuis mon arrivée ici, ma souffrance était la seule chose à laquelle je pensais à ce moment-là.

Je veux juste que quelqu'un retrouve mon amie, peut-être même retourner une semaine en arrière pour lui éviter ce drame. J'aurais mieux fait de ne pas l'inviter, pire, elle aurait sans doute mieux préféré que je ne lui adresse jamais la parole. Nous sommes trop différentes, j'aurai dù deviner qu'elle ne s'adapterait pas à mon monde. Je me relève précipitamment et m'enfuie aussi loin que mes poumons et mes jambes me le permettent. Je cours à en perdre haleine, ce qui me semble être des centaines de mètres. Les minutes s'égrènent, me laissant dans un état dans lequel je ne suis plus maître de moi-même. Mon corps me quitte, je suis un fantôme perdu au milieu d'une ville sans vie.

Mes yeux se posent dans chacune des ruelles que je rencontre, sur chaque trottoir, vers chaque voiture noire, sur chaque individu me regardant de travers. Je me sens impuissante, j'ai l'impression de ressentir la douleur d'Andréa dans toutes les cellules de ma peau, refoulant la haine que j'éprouve pour ces individus, ces monstres qui me l'on prise. Pourquoi Dieu décide de me voler les personnes auxquelles je tiens ? Pourquoi me fait-il subir toutes ces épreuves ? Pourquoi les flammes de l'enfer viennent me brûler les ailes alors que j'essaye enfin de les déployer ?

Une voiture klaxonne, me faisant sursauter, je reprends enfin mes esprits. Je suis au milieu de la route, mes cheveux collent dans mon dos. Mes vêtements se font lourds, mes pieds me tiraillent. J'ai même perdu une chaussure pendant ma course. Mon pied écorché saigne, mais je ne perçois aucune douleur à part celle qui se trouve sous ma poitrine. Je n'ai pas aperçu que le temps avait tourné au rythme de mon humeur.

Je lève la tête, l'eau me chatouille le visage, le ciel est gris, tourmenté. Les gouttes se mélangent avec mes larmes. Une main m'enserre les jambes, je suis fatiguée, mes membres ne répondent plus. Alors instinctivement j'enroule mes bras autour de ce corps qui me soulève, me sauve. Pour la première fois, je me sens en sécurité. Un sentiment que je n'ai plus perçu depuis que ma vie à basculée. Cette sensation de confiance, je la ressens au plus profond de mon être. Comment ai-je pu penser que cet homme était dangereux ? Il est mystérieux, intriguant, mais la façon dont il s'occupe de moi en ce moment même, ne peux laisser qu'un faible doute sur sa vraie nature. Un homme qui prend du temps pour s'occuper d'une personne qu'il ne connaît pas ne peut cacher la moindre parcelle de noirceur en lui. Aussi étrange que cela puisse paraitre, je me sens en confiance dans le bras de cet inconnu.

Je ferme les yeux et profite de la chaleur de mon sauveur, mon cœur se calme, balançant au rythme de ses pas. Je ne sais pas où il m'emmène, ni si ce moment durera pour toujours, mais je sais qu'il m'apaise, allège ma douleur.

Il ne m'adresse pas une seule parole durant le trajet que nous parcourrons en sens inverse, pourtant je sens qu'il en meurt d'envie, je vois sa bouche s'ouvrir et se refermer quand j'entre-ouvre les paupières. Cet homme semble me comprendre, il sait que ce n'est pas le moment de me poser des questions.

Après plusieurs minutes, ses bras forts me déposent délicatement sur le bitume, rompant le contact délicieux, sécurisant. Le ciel s'est calmé, l'averse s'est arrêtée, pourtant une ambiance menaçante plane au-dessus de nous. Les nuages sont toujours présents, attendant le moment propice pour lâcher ses perles de pluie. Fernando me tire par la main et m'emmène à l'arrière de l'église. Il pousse une petite porte, à peine à hauteur d'homme, elle grince à son ouverture. Je commence à ressentir le froid de mes vêtements détrempés par la pluie, je tremble, le traumatisme que j'ai vécu commence à me paralyser les membres, je peine à marcher.

L'atmosphère du lieu n'arrange rien. Il doit faire à peine dix degrés dans ce long couloir de pierres anciennes. Finalement, nous arrivons devant une seconde porte. Fernando tente de l'ouvrir, mais elle est fermée à clef. Il se recule de quelques mètres, prend son élan et la fracasse en une fraction de seconde. Celle-ci cède sous le poids de sa force. Fernando perd l'équilibre et tombe à terre, se roulant dans un amas de poussière virevoltant au grès de l'air qui s'engouffre.

J'entre dans cette pièce sans y être invité, promenant mon regard un peu partout. C'est un environnement qui s'apparente le plus à une chambre. Les murs sont faits des mêmes pierres que celles du couloir qui nous a emmenés ici. Le sol est en béton, ce qui accentue ma douleur qui se réveille petit à petit sur la plante de mon pied. Il n'y a aucune fenêtre qui puisse laisser passer la lumière du jour, mais je remarque plusieurs ampoules accrochées aux murs et au plafond. L'endroit est assez vaste et pourtant seul un lit, une armoire et un bureau encombrent l'espace. L'air ambiant est humide, je me demande à qui appartient cet endroit.

- Assied-toi sur le lit, m'ordonne soudain Fernando.

Il dépose une serviette sur les épaules pour éponger l'eau qui ruisselle sur ma robe. Perdue dans la contemplation de mon inspection, je n'avais pas vu qu'il m'avait laissé quelques secondes pour aller chercher un nécessaire de premier secours. Mon regard se pose sur son visage. Une mèche de cheveux tombe sur son front, il est beau, le genre de beauté naturelle, sans faire d'effort, sans artifice. Il est si près que je sens son parfum me chatouiller les narines.

- Est-ce que tu es blessé ailleurs ? Comment te sens-tu s'inquiète-t-il.

Je me racle la gorge et lui répond :

- Mon pied me lance, j'ai dû marcher sur un bout de verre, à part ça je crois que je n'ai rien d'autre.

Il ouvre une compresse stérile, l'enduit de désinfectant, me maintient la cheville et commence à nettoyer la plaie.

- Ce n'est pas aussi profond qu'on pourrait le croire, et je viens de vérifier, si tu t'es écorchée avec un bout de verre, il n'en reste rien, mais tu devrais aller consulter quand même, je ne suis pas un expert dans le domaine, sourit-il prévenant.

Je ne peux m'empêcher de le lui rendre. Malgré la situation, mon cœur s'emballe, nous sommes si proches que je sens son souffle sur ma jambe nue. Il me procure une drôle de sensation dans la poitrine, c'est certain.

- J'irai consulter c'est promis, je finis par lui répondre.

Il continue de nettoyer ma plaie avec minutie, pour quelqu'un qui prétend ne pas s'y connaître, il a l'air de bien se débrouiller.

Je le regarde s'affairer, prendre soin de moi. Je peux remarquer qu'il a une carrure plutôt musclée sous sa veste qui lui colle à la peau. Pourquoi est-il venu à mon secours ? Certes, il s'est peut-être inquiété lorsqu'il m'a entendue crier comme une enfant perdue, mais de là à me courir après, alors que je fonçais je ne sais où, de me porter tout le trajet et ensuite soigner mes blessures... il n'était pas obligé de pousser la charité à ce point.

- Voilà, j'ai fait ce que j'ai pu, ne tarde pas à voir un médecin avant que ton entaille ne s'infecte, me rappelle-t-il.

Je hoche la tête en signe de réponse.

- Tu ne veux toujours pas me dire ce qui t'es arrivé ?

J'hésite un instant, avant de me persuader qu'il ne pourra rien y faire. Je lui fais signe que non et change complètement de sujet en me levant.

- Il faut que j'y aille avant d'attraper la mort, je suis dans un état lamentable et il doit se faire tard.

- Tu as raison, je te raccompagne ?

Encore une fois je suis indécise, il serait plus raisonnable de me faire reconduire jusqu'à l'appartement. Si les monstres qui ont fuis m'attendaient au coin de la rue pour m'enlever à mon tour ? Mais Fernando a déjà tellement fait pour moi, je ne peux pas lui demander encore ce service. Je me suis toujours débrouillée seule, ce n'est pas maintenant que cela va changer. Je refuse sa proposition et il finit par m'entrainer jusqu'à l'entrée de l'église.

Dès que je ne suis plus dans sa ligne de mire,je me mets à courir de toute mes forces, oubliant la douleur, jusqu'à l'entréede l'appartement où je serai enfin en sécurité.

CatalinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant