VI

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MARDI

•Point de vue d'Emma•

Trois jours. Trois jours que j'ai la peur au ventre en sortant de chez moi, qu'Aymé m'a surprise dans la ruelle. Trois jours que nous ne nous sommes pas adressés la parole. D'une certaine façon, c'est ma faute : le cul sur le bitume, je lui ai demandé de me laisser. À quoi est-ce que je m'attendais ? Qu'il insiste encore ? Qu'il me fasse céder ? Têtue et fière comme je suis, jamais, ô grand jamais, je n'aurais accepté de le suivre. Je lui ai demandé de me laisser seule... Et c'est ce qu'il a fait. Puis j'ai regretté ; je me suis rendue chez une amie pour me remettre de mes émotions, mais aussi pour ne pas avoir à répondre à ses éventuelles questions. Quand je suis rentrée hier matin, il n'était plus là. Sa voiture n'avait pas quitté le parking, mais lui était parti. Il n'y avait qu'un mot posé sur mon paillasson m'expliquant qu'il était quelques jours chez un ami à Bordeaux. J'ai d'abord été déçue en le découvrant, puis j'ai fini par me dire que c'était sûrement mieux ainsi.

Il paraît que le sport c'est la vie. Alors, depuis que celle-ci semble se rebeller contre moi, je fais ami-ami avec son allié le sport. En plus de mon emploi de vendeuse, je travaille bénévolement pour une petite association à quelques bâtiments du mien. Aujourd'hui, je ne viens pas pour donner des cours, mais pour profiter de cette magnifique salle afin de me défouler et me vider la tête. C'est toujours mieux que se bourrer la gueule !

- Salut ma belle, qu'est-ce que tu fais là ?

- J'avais envie de te faire une petite surprise, je réponds, sourire aux lèvres.

- Bah, c'est toujours avec plaisir, me charme Ludo.

Ludo, c'est le mec le plus gentil qui m'ait été donné de rencontrer. Il mesure environ un mètre soixante, ce qui fait que nous avons à peu près la même taille. Il a une musculature à faire baver toutes les filles et des yeux à faire tourner la tête à un ours. Tout ça pour dire qu'il est vraiment canon. Vous voyez le cliché du surfeur californien ? Eh bien c'est lui ! Avec le bronzage parisien évidemment...

- Ouh, ouh, tu es avec moi ? me demande-t-il en agitant ses mains devant mes yeux absorbés par son torse nu.

- Euh, oui, pardon. Tu disais ?

- Ouais, donc tu veux faire quoi, aujourd'hui ?

- Ce que je fais de mieux.

Je lui lance un regard plein de sous-entendus.

- Ok, ma gazelle. Cours autour des tapis pour t'échauffer un peu.

- Oui coach ! je réponds du tac au tac avec un faux air de sous-officier.

Je me glisse dans les vestiaires des femmes et enfile rapidement mon short de danse rouge ainsi qu'un tee-shirt blanc. Je sais que cette tenue ne met pas spécialement ma silhouette en valeur et qu'elle est encore moins sexy, mais je m'en moque. Je ne viens pas ici pour draguer ! Je prends mes chaussons noirs pour plus tard. Je transpire tellement avec !

Je fais mes vingt minutes d'échauffement habituels et commence à enchaîner divers mouvements comme une grande fille. Cela fait un peu plus d'un an que je passe assez régulièrement ici. Il s'agit d'une association qui vient en aide aux jeunes des quartiers difficiles. Sports, devoirs, orientation, nous leur proposons tout un tas de services. J'aime être à leur contact et ce sport me fait un bien fou. La danse est ma passion. J'en fais depuis que je suis toute petite et je n'arrêterai pour rien au monde. Ça me permet de me vider la tête et d'extérioriser tous mes sentiments contradictoires qui m'empêchent d'avancer dans la vie. Alors, lorsque Ludo m'a proposé de donner bénévolement des cours de danse, j'ai tout naturellement accepté. Samedi, c'est ici que j'ai passé ma journée avant de sortir manger avec Aymé. Mais, aujourd'hui, je viens seulement pour moi.

- Oh, du calme la lionne. La barre ne t'a rien fait et tes chaussons, encore moins !

Je glousse comme une idiote et passe mon avant-bras sur mon front pour essuyer la sueur. Très glamour !

Quelqu'un frappe sur la vitre communicant avec l'accueil. Mes yeux fixent le visage de l'homme. Ses traits ronds, ses lèvres charnues, ses yeux noisette et verts à la fois... Ça ne peut pas être Aymé. Je suis en train de rêver, n'est-ce pas ? Nous nous reluquons mutuellement de la tête aux pieds, seulement nous ne le faisons pas pour les mêmes raisons. Il finit par faire signe à Ludo de le rejoindre. Je détourne le regard, soudain gênée. J'aurais aimé lui parler... pourtant une petite voix dans ma tête m'affirme que la discussion que je souhaite avoir, n'aura jamais lieu.

- Désolé ma belle, le devoir m'appelle. Mais t'inquiètes, je suis à toi juste après, me réveille mon coach.

Il me fait un clin d'œil et ferme la porte de la salle de sport derrière lui.

Ils discutent pendant au moins quinze bonnes minutes avant de se serrer la main et de partir, à l'extérieur pour lui, dans ma direction en ce qui concerne Ludo. Je ne peux que me demander comment est-ce possible qu'Aymé soit là... D'ailleurs, comment connaît-il Ludo ? Une fois à mes côtés, mon entraîneur me regarde massacrer mes pauvres pointes.

- Tu le connais ? me demande-t-il, sans me lâcher un seul instant du regard.

Je le regarde, mimant un air perdu, mais je sais très bien à qui il fait allusion.

- Le beau brun de tout à l'heure ?

Je continue à feindre l'ignorance.

- Emma, ne fais pas la meuf avec moi. Je te pratique depuis assez longtemps pour savoir quand tu me caches des choses. Et ce n'est pas en essayant de faire je-ne-sais-quoi avec tes trucs, là, qui au passage ne t'ont rien fait de mal, que tu vas conclure !

- Mais, je ne veux pas conclure !

- Ah, donc, tu avoues le connaître ?

- Tu me casses les pieds ! Et toi, comment ça se fait que tu le connaisses ?

Je reporte mon attention sur mon lacet défait et souffle de toutes mes forces afin d'apaiser mes nerfs. En réalité, la réponse m'importe peu.

Près d'une heure plus tard, je dégouline de transpiration, mais je m'en contre fiche. J'en ai besoin. J'ai besoin de faire sortir toute ma colère et mon manque. Mais que faisait-il là ? Aymé. Pourquoi occupe-t-il toutes mes pensées ?

- Au fait, commence Ludo en me prenant par surprise, je fais une fête chez moi vendredi soir. Ça te tente ?

- Ça aurait été avec plaisir, mais je travaille le lendemain.

- Et alors ? Je me rappelle d'un temps, pas si lointain, où tu rentrais chez toi à cinq heures le matin et allais en cours, toute fraîche, à huit. En plus, il y aura Aymé...

Malgré son clin d'œil, je hoche la tête négativement. Moi aussi, je me rappelle de ce temps où je fuyais mes problèmes dans des fêtes presque tous les soirs, où je noyais mes angoisses dans l'alcool...

- Allez ! Ça fait longtemps !

- Bon ok, j'abdique. C'est bien parce que c'est toi !

Post-EnferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant