XXIV

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•en média : happy birthday, NASA•

SAMEDI

•Point de vue d'Aymé•

     Je laisse mon regard divaguer parmi les rayons. Oranges, pommes, choux,... Je roule des yeux en découvrant d'autres fruits et légumes dont les noms se sont perdus dans ma mémoire. Mes cinq années de régime extra-protéiné pour être au top au hand ne contenait pas beaucoup de produits de la terre. Je me retrouve face aux étagères chargées de biscuits, et tout de suite, je me sens comme à la maison. Je glisse la main dans la poche de mon jean pour jeter un œil à ma liste.

□ Pain de mie

□ Moutardes

□ Pistaches

□ Gâteaux apéritifs

□ Alcool

□ Jus de fruits

□ Beurre

     Je laisse un soupire m'échapper : impossible de mettre la main sur les pistaches grillées ! Je tourne sur moi-même en espérant que personne n'assiste à cette scène ridicule. Malheureusement pour moi, une dame à la tignasse rousse fougueuse s'approche de moi, le pas chaloupé. Je m'immobilise, vraiment gêné. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui raconter ?

- Bonjour, je peux vous aider ? demande-t-elle d'une voix douce.

     L'âge a dessiné de charmantes petites ridules au coin de ses yeux et de ses lèvres, ce qui n'enlève rien à la joliesse de son sourire. Je me perds un instant dans mes illusions d'Emma à cet âge-là, et je me dis que, oui, assurément, elle me plaira toujours !

     La dame du magasin ramène mes pieds à terre en reconduisant sa question. Je bafouille un vague oui, puis lui adresse ma requête. A peine a-t-elle fouiller les rayons du regard que les fameuses pistaches me reviennent en main. Je la remercie et me dirige vers les caisses. Sur le mur qui leur fait face, une horloge indique dix-huit heures. Je suis encore dans les temps...

     Je sors enfin du magasin, dans les mains un sac de course bien chargé ! Je souris en découvrant le message paniqué de ma brunette se demandant où j'étais. Je lui réponds et prends rapidement la route. Hors de question de la faire attendre d'avantage ! pas le jour de son anniversaire.

     Je suis heureux de l'avoir poussé à accepter ma proposition. J'ai été outré d'apprendre qu'elle ne souhaitait pas fêter son vingtième anniversaire. Dire que sans ce repas avec ses amis, jamais je n'aurais su ! Aujourd'hui, quoi qu'il arrive, est consacré à elle.

     Une large banane sur la frimousse, je gars ma voiture, récupère les achats à l'arrière et monte sonner chez elle. Elle m'ouvre, les cheveux à peine retenu par son chignon défait, les mains accrochée à son aspirateurs. Je ne peux que me dire, d'un ton désespéré, qu'elle n'est toujours pas prête, et qu'elle ne sera pas prête pour vingt et une heure. Je dépose tous ce que je viens d'acheter dans la cuisine et prends le relais.

     Prêt d'une demi-heure plus tard, tout l'appartement a été balayé, aspiré, lavé, séché, et dépoussiéré. Emma me regarde d'un air malicieux. Je sais que son regard me remercie pour mon aide, mais que sa fierté retient les mots au fond de sa gorge. Je lui ordonne d'aller se doucher et en profite pour passer en faire de même dans ma salle de bain.

     La musique est lancée, la buée commence déjà à recouvrir le miroir lorsque je la vois apparaître. Son petit corps se faufile par la porte laissée entrouverte. Elle dépose quelque chose au sol, puis retire son sweat. Je ferme les yeux, imaginant ce qui va suivre. Ses doigts frais se posent sur mon épaule. Je me retourne doucement, en tentant de masquer le désir qui anime mon regard. Elle a gardé sur elle une fine robe pastelle. D'un geste non contrôlé, je la serre contre moi, respire son parfum. Je suis ravi de son initiative et d'autant plus fier d'être l'homme à ses côtés. Le tissus crème est maintenant mouillé, sa poitrine ainsi révélée. Ses seins se dressent par leur bout, excitant l'animal, l'hôte de mes bois. Mais je n'en ferai rien, elle n'est pas venue pour cela. Emma n'est pas le genre à prendre la peine de revêtir une nuisette pour avoir du sexe. Je me contente de l'embrasser, sans me gêner pour lui montrer mon attirance. Je l'imagine traverser le couloir en catimini, pour me rejoindre. Elle a l'esprit libre. Elle est libre. Pourquoi les femmes les plus libres sont les plus oppressées ? Je le vois à la lueur dans ses yeux, à la douceur de ses gestes, je le lis sur ses lèvres, c'est comme une permission qu'elle quémande. Permission de vivre.

***

     Les premiers invités sonnent à la porte un peu avant vingt-et-une heure. Emma les accueille tandis que je les attends dans le salon, bien entouré par les saladiers de chips et de bonbons. Le son est déjà à fond. Les voisins sont prévenus, ce soir, il sera difficile de dormir. Mais ce soir justement, ma petite brune a vingt ans, pour la première fois de sa vie.

     Une main vient agripper mon bras. La soirée est déjà bien entamée. Tous dansent, boivent et rient. Emma me tire vers un groupe installé près de la baie vitrée. Son regard tressaille d'excitation. En mon fort intérieure, la jalousie gronde : je ne lui ai jamais fait cet effet.

- Je ne te présente plus Ludo, Iris et Hakim... commence-t-elle en essayant de se faire entendre avec toute cette musique. Donc voilà Noam, mon voisin de droite.

     Nous nous saluons d'un hochement de tête. En réalité, nous nous sommes déjà croisés. L'ascenseur était coincé, et lui comme moi n'avions pas l'intention de céder à la panique. Au lieu de ça, nous avons préféré tourner la situation à la dérision.

- Voici Laura, une collègue et amie, continue-t-elle.

     La blonde me claque une bise avant de reprendre sa place dans la petite ronde que nous formons.

- Et voilà, Sofia, la copine d'Iris.

     Mon regard tombe alors sur une jeune femme, type antillaise, les cheveux nattés avec des mèches violines, le visage fins, les yeux pétillants. Les mots d'Emma résonnent tout à coup comme un carillon : « Sofia, la copine d'Iris ». Et immédiatement mon cerveau fait la traduction : « Ma sœur, la copine d'Iris ». Quitte à passer pour un vieux-jeu, je demande précision :

- Copine... Copine ? Ou copine...

- Très bonne copine, me répond-elle. Du genre, au-dessous de la ceinture, si tu vois ce que je veux dire...

    Je reste interdis. Ma sœur. Sa copine. Ma petite sœur. Je n'arrive plus à réfléchir. Je ne sais pas si je dois être heureux, si je dois la sermonner comme lorsque nous étions ados et que nous étions nos seuls parents, si je dois avoir l'air surpris... Je repense à cette après-midi, j'étais rentré du lycée plus tôt, je savais qu'elle était déjà là, ses chaussure étaient dans l'entrée. J'avais décidé de passer par sa chambre, la prévenir que je sortais courir, mais des bruits langoureux m'avaient arrêté. Elle avait quinze ans et j'étais bien décidé à les briser à celui qui osait toucher ma sœur. En ouvrant la porte, j'avais découvert ma petite pépite d'or au-dessus d'une fille de son âge. Puis, je suis parti... Elle à Paris, moi à Bordeaux... On a mené nos petites vies. En un sens, c'était mieux comme ça. Ceci nous a permis de tourner la page de notre pseudo-enfance plus facilement.

- Tu le savais, hein ? me demande-t-elle en posant sa main sur mon bras.

    Trois ans que ma sœur ne m'avait pas touché... J'acquiesce simplement. Oui, je le savais. Mais ce n'est qu'aujourd'hui que je réalise ce que tout cela implique. Jamais je me retrouverai assis à la même table que mon beau-frère, je ne tiendrais peut-être jamais ma nièce ou mon petit neveu sur mes épaules, comme je ne verrai surement pas le ventre de ma sœur se gonfler et accueillir la vie.

     Toutes les lumières s'éteignent. Happy Birthday résonne dans les enceintes. Les yeux d'Emma pétillent d'émotions. Ludo et Hakim apporte un fraisier, gâteau préféré de leur amie, surmonté de deux imposantes bougies. Alors que tout le monde applaudit, que les rires et les acclamations fusent, ma brunette m'adresse une mine larmoyante. Son bras tendu m'invite à la rejoindre. Ce que je m'empresse de faire. Nous voilà côte à côte, les flammes ondulants devant nous. Elle souffle sur ses vingt-ans comme si en ce geste, elle avait pu effacer ses dix-neuf dernières années, comme si tous ses tracas avaient pu s'envoler. Elle semble y croire, et je veux y croire.

🖋Voilà, petit cadeau ! Je suis bien avancée donc je me permets de vous publié ce chapitre un peu en avance. 

Personnellement, j'aime beaucoup la première partie. La seconde un peu moins... mais j'ai beau la retravailler, je tourne en rond. Dites moi ce que vous en pensez, ce que je pourrais améliorer. 

Bonne lecture !🖋

Post-EnferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant