Chapitre 11 : La long-marcheuse raconte

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Le lendemain matin, Swann eut une très bonne surprise. Elle se réveilla et sortit de la maison, se promenant au gré de ses pas dans la ville. Soudain, elle remarqua une certaine effervescence quelques rues plus loin. Elle s'y rendit, se retrouva sur la rive. Un groupe d'un certain nombre de personnes était attroupé là. Swann se fraya un chemin et vit ce que tout le monde regardait, de l'autre côté du fleuve. Un beau cheval bai, aux yeux doux et intelligents, qui attendait debout sans bouger juste en face d'elle.

« Eru ! cria-elle, remplie de joie. Elle s'inquiétait beaucoup depuis deux jours en pensant à ce qu'avait pu devenir son cheval, seul dans la forêt. Elle demanda au guetteur d'abaisser le pont-levis, expliqua au groupe intrigué ce que cette bête faisait là, et bientôt Eru put passer tandis qu'elle-même marchait à sa rencontre. Arrivé à son niveau, le cheval baissa sa grosse tête et donna de petits coups de museau affectueux dans l'épaule de Swann. « C'est bien, c'est bien, merci mon grand », dit-elle en passant sa main dans la crinière emmêlée d'Eru.

Ses flancs étaient tout égratignés, sa robe sale et il avait l'air fourbu, mais il semblait également heureux de retrouver sa maîtresse. Swann ne sut pas comment le cheval avait su où la trouver, mais elle trouva qu'il était très intelligent. Swann conduisit Eru dans les écuries où seul quatre chevaux logeaient déjà, bien que n'étant que très peu souvent employés par la communauté Pan de la Semîle.

Heureuse de ces retrouvailles, Swann brossa son cheval, le soigna, lui apporta à manger, puis le laissa se reposer. De son côté, n'étant pas mise à contribution étant donné son statut de long-marcheuse, elle se trouva désœuvrée. Elle choisit donc, pour ne pas s'ennuyer, de reprendre son carnet et de préparer son intervention du soir devant tous les Pans de la Semîle, pour leur apprendre les nouvelles du monde. Et elle en avait une particulièrement mauvaise à annoncer.

***

De la lame, Alexandre rejeta en arrière le corps encore tiède d'une créature à l'aspect félin couvert de motifs léopards d'un couleur oscillant entre le violet et brun foncé. La créature indéfinie retombant dans un bruit sourd, étouffé par les racines, les crocs encore blancs, n'étant parvenu à n'endommager personne. Autour de lui, les Pans qui s'étaient éloignés –enfuis étant un terme plus exact – revenaient en contemplant le cadavre d'un air intimidé. La forêt se faisait de plus en plus dangereuse, aucune expédition ne pouvait plus sortir sans la protection d'Alexandre. C'était devenu sa tâche attitrée, il n'avait plus que celle-là. Tuer encore et encore, sans risquer vraiment sa vie, pour protéger ceux qui en étaient incapables.

Les Pans attroupés s'interrogeaient : qu'est-ce que c'était ? C'était agressif ; encore une menace ? Est-ce que ça se mangeait ?

Et la grande question, est-ce que ça se mange, plana dans l'esprit de tous. Les Pans avaient tous au fond d'eux une peur panique de la famine. Sans l'avoir encore endurée, ils étaient tous conscients qu'ils ne pourraient pas se reposer indéfiniment sur la nourriture qu'ils récupéraient dans les villes de l'Ancien Monde, qu'il faudrait un jour ou l'autre vivre par eux même, et ils avaient tous en tête les récits d'apocalypse qui leur avaient été donnés de lire ou de connaître, et où la faim intervenait toujours, à un moment ou à un autre, horrible, terrifiante, oppressante, ouvrant les écluses des instincts les plus bestiaux, les plus destructeurs qui soient. Alors ils tentaient d'apprendre à chasser, à cultiver, à reconnaître les plantes comestibles, comme les premiers hommes, dans l'espoir de survivre en restant une créature un minimum humaine.

Les Pans finirent par accrocher l'animal par les pattes à une longue branche que deux enfants portèrent tandis que les autres tenaient sur leurs épaules les sacs de ravitaillement. Ils étaient lourds, il fallait sans cesse renouveler les réserves pour nourrir les quelques cent-cinquante enfants et adolescents que regroupait la Semîle. Ils rentrèrent triomphants au campement, sous l'admiration de leurs congénères qui dévoraient des yeux la bête attachée à son bout de bois.

Autre Monde : L'appel des Longs-MarcheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant