Pour la troisième fois, les paupières d'Alexandre tombèrent lourdement sur ses yeux alors qu'il tentait de se forcer à rester éveillé. Il ne voulait pas s'endormir, laisser ainsi le campement de fortune sans surveillance, mais c'était plus fort que lui. Les longues nuits passées à se livrer au même exercice, les journées à cheval presque exemptes de repos depuis des jours, depuis qu'ils avaient laissé derrière eux la Meute, avait fini par entamer sa résistance. Swann avait beau juger inutile ces veilles, il sentait qu'à la moindre défaillance de sa part, un ennemi, une créature, pouvait surgir. Et alors, s'ils n'étaient pas en position de riposter...
Pourtant, il ne se souvenait plus depuis combien de temps il n'avait pas dormi plus de deux heures et demi d'affilé. S'il ne se reposait pas, il ne parviendrait pas à tenir le rythme déjà éprouvant de la vie de long-marcheur.
Il était assis contre un arbre, et fixait le feu qu'il maintenait allumé. A côté de lui, Swann était endormie à même le sol, dans une couverture. Son visage prenait des reflets ardents, à la proximité du feu. Alexandre, l'esprit embrumé par la fatigue, remarqua une des courtes mèches de cheveux blonds qui retombaient sur son front, entre ses yeux. Il eut envie de la remettre en place. D'un geste un peu engourdi, il la prit entre ses doigts, si délicatement qu'il frôla à peine le front tiède de la long-marcheuse, et la glissa avec le reste de sa courte chevelure.
Elle avait l'air d'être si bien, dans son... sommeil... Si bien... Il ne parvenait plus... à... lutter...
Sans même s'en rendre compte, il s'endormit.
Une impression bizarre. De malaise. De danger. Alexandre dormait, pourtant, il le ressentait. Il ne rêvait pas - il rêvait rarement. Il entendit une sorte de grognement.
Cette fois, il se réveilla tout à fait. Il sut immédiatement. Il avait failli au rôle qu'il s'était imposé. Ça allait lui coûter cher -non, leur coûter cher-.
Il ne les voyait pas. Ils se tenaient hors du cercle de lumière projeté par les flammes. Vu leurs respirations, ils étaient une dizaine. Ils les avaient encerclés. Comme quoi, ils n'étaient pas si bêtes qu'on le disait.
Il réveilla Swann immédiatement, en lui tapotant le visage. Elle émergea difficilement.
« Hmm, quoi ?...
- Chut. Ne fais aucun mouvement brusque qui leur donne un signal. On est encerclés. Par des Gloutons, à priori. »
Elle n'ajouta rien, mais un éclair de panique passa dans ses yeux. Elle se redressa lentement, et avec la même lenteur étendit la main vers son arc. Alexandre, lui, avait saisi ses deux épées et s'était mis debout. Il inclina sa lame courte, qui projeta un reflet métallique de la lumière du feu. Un instant, on put deviner la silhouette d'une tête difforme, et l'éclat de deux yeux inquiétants. Il se tenait à moins de dix mètres. Swann s'approcha de quelques pas de la périphérie du cercle de lumière projeté par le feu, mais Alexandre lui intima d'un geste de ne pas aller plus loin. Elle recula, son arc à la main, une flèche déjà encochée, pour venir se positionner près d'Alexandre. Tous deux se tenaient dos à dos, faisant face au cercle d'ennemis qui les entouraient de toute part. Alexandre tenait fermement la poignée de ses deux épées tandis que Swann tendait la corde de son arc brandi droit devant elle, prête à décocher.
Il leur semblait que les silhouettes diffuses des Gloutons gagnaient lentement en précision. Indubitablement, ils approchaient. A présent, ils voyaient luire leurs yeux féroces. Le cercle se resserrait toujours sans que quiconque ait encore esquissé le moindre geste agressif. Leurs corps étaient aussi tendus que la corde de l'arc de Swann. Ils les voyaient distinctement, maintenant, ils avaient franchi la barrière des ténèbres pour entrer dans le halo de lumière brûlante, toujours avec leur lenteur et leur cohésion de prédateurs. L'assaut devenait plus imminent à chaque seconde.
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Autre Monde : L'appel des Longs-Marcheurs
AdventureLes éclairs. La Tempête. La Chute. Lorsque Swan Miller se réveille, le monde a totalement changé. En une nuit, la civilisation s'est écroulée, la nature a repris ses droits. Les enfants, privés de repères, sont désormais livrés à eux même, dans un m...