La Mort --tome 2--

L'exécution

Notre plan du cheval de Troie n'était plus vraiment d'actualité, sachant désormais que Lucifer est au courant de mon existence. Je devait servir d'appât, et faire tomber Lucifer dans un piège. Seulement maintenant, quelques détails ont vraisemblablement détruits notre marche à suivre, à savoir l'apparition de nouveaux pouvoirs (enfin pas vraiment nouveaux mais juste redécouverts) et l'exécution de Jay qui devait se dérouler aujourd'hui même, dans quelques heures à peine.

- On n'a aucun plan de secours ? Demanda nerveusement le Colonel.

- Non, répondis-je en faisant les cents pas dans ma robe.

Faire les cents pas était un euphémisme, car à force j'avais l'impression de creuser des tranchées.

- On ne peut pas partir comme ça sans plan de départ ! Renchérit le Colonel en faisant face aux mercenaires devant nous.

Je me force tout de même à faire bonne figure, devant des dizaines de Démons qui sont prêts à donner leur âme pour me faire monter sur un trône qui me revient de droit. Je me tourne vers Hadès, tentant tant bien que mal de dissimuler les tremblements nerveux de mes mains. Il se rapproche de moi, ayant très certainement senti mon anxiété.

- Il faut que l'on y aille, déclarais-je, peu importe le prix.

- Je sais que tu veux sauver tes alliés Mayra, soupira Hadès, mais je ne peux pas te laisser partir sans protection.

- Alors tu viens avec moi avec certains de tes hommes, décidais-je, mais moi, je ne vais pas rester ici les bras croisés.

Je me retourne en un coup de vent, désormais face au cortège dans lequel je doit monter. Un immense carrosse noir orné de dorures et de fresques relatant les différents supplices des Enfers où six chevaux noirs ébènes étaient attachés. J'aurais tout de même préférer prendre une voiture de luxe, une limousine par exemple, mais ce n'était pas vraiment adapté au sol des Enfers. Le carrosse avait une qualité spéciale ; il volait. Ce qui est toujours pratique lorsqu'on veut empêcher l'exécution d'un de ses amis. Avec la motivation qui me reste, je grimpe dans le carrosse, ne sachant pas vraiment à quoi m'attendre pour la suite.

*

Cela faisait juste depuis quelques minutes que je venais de poser un pied hors du carrosse, et déjà toutes les têtes étaient tournées dans ma direction. J'étais sortie à la suite d'Hadès, et ayant levée la tête fièrement, j'ai pu croiser certains regards d'incompréhension mais aussi d'admiration. Pourtant, ce que je voyais le plus était l'espoir. Il régnait sur mon passage, faisait relever les têtes, arborer des sourires, briller les regards. Je n'étais pas morte et je vais le faire comprendre à Lucifer. Je n'abandonne pas mon peuple.

C'est donc avec fierté et faisant preuve d'une confiance inébranlable que je me tiens à quelques mètres du pire traître que je n'ai jamais connu. Lucifer me souriait, comme il aurait pu sourire lorsqu'il était à mes côtés. Pourtant je n'ai fait que serrer la mâchoire. Ne lui rendant à la place qu'un air suffisant et rageur. Il se débarrasse vite de son sourire, et fronce légèrement les sourcils, lorsqu' Hadès se positionne à ma gauche. Ses yeux d'un bleu très sombre se focalisent sur les miens, que je savais émeraudes.

- Je savais que tu viendrais, déclara-t-il sans me quitter des yeux.

- Qui serais-je si je ne venais pas ? Rétorquais-je froidement.

Il ricane doucement, et continue de me fixer d'un air mauvais. Mais il se décale légèrement sur le côté et je remarque l'immense échafaud surplombant la place publique. À quelques mètres se trouvait une estrade pour spectateurs, avec un trône en son centre et d'autres fauteuils semblables mais moins raffinés, positionnés des deux côtés du trône.

- J'espère que tu apprécieras la vue, ne manqua-t-il pas de me rappeler.

Sur ce il m'incita à le suivre, se tournant vers la place publique. Je déglutis difficilement lorsque après m'être assise, la foule remplissait l'espace restant entre l'estrade et l'échafaud. A cette distance, je ne pouvais rien faire. Comment allais-je pouvoir sauver mes trois alliés, tuer Lucifer et ses partisans puis enfin reprendre ma place sur le trône ? Je jette un regard inquiet envers Hadès et je le vois baisser la tête comme si tout était perdu. La mâchoire serrée et le cerveau tournant à mille à l'heure, je ne remarque pas tout de suite le bourreau et les soldats monter sur la scène. J'aperçois enfin entre eux, le corps frêle et sûrement blessé de Jay. Mes doigts se crispent sur les accoudoirs du fauteuil lorsque je vois les hématomes sur son visage, le sang qui perle de sa tempe, sa tête baissée et ses cheveux sales et certainement poisseux de sang au vu de la couleur brunâtre. Je tente de garder mon calme lorsque les soldats le jettent à terre et que le bourreau l'attrape violemment pour le traîner jusqu'à la corde. Celle qui est censée le pendre.

*

Je serrais toujours autant les accoudoirs, le dos crispé, et le visage inquiet. Mon regard était toujours ancré sur le corps de Jay. Le moment où les bourreaux le tenait debout pour lui ajuster la corde autour du cou semblait durer une éternité. Je ne pouvais pas laisser faire, je ne pouvais pas l'abandonner une seconde fois. Mais comment ? Quoi faire ? J'étais à des dizaines de mètres de la scène ! 

Mais mon corps et mon coeur ont eu raison de mon esprit et je me suis soudainement levée en hurlant son prénom. La foule s'était prestement tournée vers moi. Je sentais le regard brûlant de Lucifer qui devait sûrement rire, je savais qu'Hadès était surpris, et la foule murmurait sans cesse. Mais moi, je ne fixais qu'une seule chose. Les yeux orageux de Jay, sa tête s'était relevée. Je ne détourne pas une seule fois le regard, et le détaille. Il est faible, pas seulement physiquement mais aussi mentalement. Il est perdu, il ne comprend pas, je le lis dans son regard. 

Je suis comme paralysée, au milieu de cette sordide place, debout devant un peuple qui n'est plus le mien, à côté d'un des Démons les plus vicieux que j'ai connu. Je suis là, à contempler le maigre humain se faire engloutir par la cruauté des Enfers. Puis, d'un coup, un bourreau pousse un levier et les jambes de Jay pendent dans le vide.