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Il est trop tôt pour ça; c'est ce que Louis se dit depuis la seconde où il a franchi la porte de cette pièce. Il fait trop clair, il n'a pas assez dormi, il est encore trop chamboulé pour accepter qu'on lui explique avec des mots basiques, comme on parlerait à un enfant, qu'il ne rentrerait pas chez lui après ses trois mois en détention. Il a son éducatrice référente à son côté, elle le regarde, soucieuse, prête à intervenir au moindre écart, et puis il y a cette dame face à lui derrière son grand bureau, qu'il n'a même pas envie de regarder dans les yeux. Il a la tête baissée, il se balance un peu, d'avant en arrière, il crispe la mâchoire un peu trop fort, il relâche la tension, et se re-crispe; ça se voit, ses os qui saillent de chaque côté de son visage. 

- Comment ça, elle veut pas me reprendre?

- C'est pas ce qu'on a dit, Louis, corrige la directrice. Moi, j'ai senti qu'elle voulait bien, mais je pense que c'est pas du tout une bonne idée que tu retournes résider chez ta maman.

Il fixe le sol, secoue un peu la tête.

- Et pourquoi ?

- Eh bah... aux dernières nouvelles, elle travaille pas, déjà. Et entre nous, t'étais ingérable quand tu vivais encore à la maison. Elle est pas en capacité de t'accueillir à nouveau, là.

- Mais ma mère elle m'a dit qu'elle me veut... parce que... parce que je l'ai eue au téléphone, y'a un mois... elle veut que je revienne. Et moi, je veux aller chez elle, je veux pas rester ici. Je m'en tape de ce que vous pensez, si elle, elle veut, je devrais pouvoir-

- Écoute. Elle t'aide pas. D'accord ? Elle fait de son mieux, mais elle y arrive pas. Ce que-

- Je veux la voir.

- Tu pourras la voir très vite, ta maman. Mais là, c'est pas possible. C'est un centre éducatif fermé, ici. Il y a des règles.

   Mathilde, son éducatrice, pose une main sur son épaule en un geste qui se veut rassurant mais qui est plus préventif qu'autre chose; sous ses doigts, elle le sent déjà extrêmement tendu. Il respire un peu plus fort, et puis maintenant, il regarde la dame dans les yeux. Cette dernière ne se laisse pas impressionner, au contraire, elle dégage un mélange malsain de compassion et d'autorité. C'est que Louis n'est certainement pas le premier gamin délinquant à qui elle a eu affaire aux Cèdres de Marseille.

- On essaie de t'aider, rappelle-toi. Tu sors de trois mois de détention en EPM pour un braquage. T'as que dix-sept ans... On veut t'aider à avoir un futur, on veut que tu construises un projet, histoire que tu ne retournes pas traîner dans les quartiers avec tes collègues. Tu sais que ça mènera à rien, tout ça.

- C'est bon, j'ai compris. Lâchez-moi.

- Et qu'est-ce que tu as compris ?

- Ma mère, elle veut pas de moi. Si c'était le cas je serais chez moi.

*

  Contrairement aux attentes de toute l'équipe, Louis ne fait pas d'histoire. Il semble accepter son sort avec une résignation qui ne manque pas d'élever quelques soupçons; il est trop calme pour quelqu'un à qui l'on vient de retirer la liberté à nouveau.

On lui fait faire un tour rapide des lieux. Il suit Moussa, l'un des éducateurs du CEF, docile comme peu de gamins le sont au sein du centre. Le bâtiment principal est une maison bourgeoise à deux étages, en plein milieu d'un grand jardin aux cèdres centenaires, dont le centre tire d'ailleurs son nom. Dans un bâtiment adjacent, de l'autre côté du jardin, se trouvent les chambres, la salle de classe, la cuisine et le réfectoire. Louis profite de la visite guidée pour se familiariser avec les différents portails, murs et clôtures grillagées. Il fait une note mentale de ce qui est praticable et ce qui ne l'est pas.

SOBREVIVIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant