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« La France n'est pas assez riche d'enfants qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. [...] Elle entend protéger les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants. »

Préambule de l'Ordonnance du 2 février 1945.

*

Quand Mathilde vient frapper à la porte de Louis un samedi matin et lui dit qu'il a de la visite, d'abord il n'y croit pas. Il est à peine levé et ne discerne pas tout à fait son dernier rêve de la réalité. Elle lui laisse le temps de se réveiller et lui dit de la rejoindre en bas, alors il se prépare, un peu appréhensif. Il descend les marches, encore étourdi, se frottant l'œil droit avec le revers de sa main.

- C'est ta maman, lui dit Mathilde lorsqu'ils traversent la porte du grand jardin. Je vous laisse. Tu iras en cuisine tout à l'heure, tu es quand même de service.

  Louis s'avance prudemment vers la table de pique-nique où l'attend sa mère. Elle se lève pour le prendre dans ses bras, et ça le rebute, sans trop comprendre pourquoi, il ne retourne pas vraiment son étreinte. Elle l'embrasse, et puis il recule un peu alors qu'elle met ses mains sur ses épaules.

- Ça va ? T'as pas l'air en forme.

- Ça va, il marmonne.

  Il va s'asseoir, et elle va s'installer en face de lui. Elle, elle semble se porter à merveille. Son visage n'est plus affaissé par la fatigue, ses joues ont retrouvé leur couleur et éclat naturel, et il en vient à se demander si ce n'était pas lui, la source de tout son malheur. Même ses cheveux brillent; une brise souffle sur sa frange, elle fait infiniment plus jeune.

- Pourquoi tu me regardes comme ça ? elle demande avec un petit sourire qui le fait tiquer.

- Je te regarde, c'est tout.

- On peut fumer ici ?

    Tout en posant la question, elle fouille dans son sac. Louis soupire.

- Non.

- Menteur. Tu te portes trop bien pour quelqu'un qui a arrêté de fumer. Et puis regarde par terre.

  Il jette un coup d'œil au sol, où l'herbe est jonchée de petits mégots de cigarettes.

- Maman, fume pas s'il te plaît.

  Elle se résigne en soupirant, puis elle laisse son regard se promener tout autour d'elle; les bâtiments, les arbres, la petite serre, l'atrium. L'air est encore imprégné de la fraîcheur du petit matin, et c'est le meilleur endroit pour entendre les oiseaux.

- C'est joli ici, hein. C'est moins pire que l'EPM. Je croyais qu'il y aurait un parloir, comme là-bas, mais Mathilde elle m'a dit de m'installer dehors.

  Louis ne répond pas. Il ne sait pas quoi dire, ne sait pas s'il a même envie de lui parler. C'est sa rancune qui le bloque un peu, et Emma le remarque, bien sûr. Elle remarque toujours.

- Tu es fâché ?

  Pas de réponse.

- Écoute... Je suis pas venue jusqu'ici pour que tu fasses la tête.

- Pourquoi t'es là ?

- On part en vacances. Cet été, Joël il nous emmène en Corse, Louna et moi, et le petit aussi. Après on va en Italie. On revient en août. Tu te rends comptes ? On n'a jamais eu des vraies vacances, on n'a jamais voyagé. Ce sera la première fois pour Louna... On reviendra avant que tu sortes d'ici.

  Louis l'écoute sans la regarder, trop occupé à gratter la peinture sur le bois avec son ongle. Il en arrache de petits morceaux qu'il laisse s'accumuler sur la table.

SOBREVIVIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant