SOBREVIVIR

9.

  Leur nouvelle vie en liberté – une liberté dont ils s'étaient emparés de force et qui ne leur appartenait pas réellement – n'est pas de tout repos. Ils se font plutôt discrets, ne cherchent pas les embrouilles et ne rôdent pas là où ils ne doivent pas rôder... Comme devant l'immeuble de Louis. Un jour, alors qu'ils passaient subtilement près du quartier, Louis avait vu cette voiture de police garée dans le parking. Devant le capot, aux côtés d'un agent, se tenait Antoine, les bras croisés, le pied ferme, le regard à l'affût. Ce jour-là, les doutes de Louis avaient été confirmés; chez lui, c'était hors-limite, du moins jusqu'à ce que sa mère revienne de vacances.

Mais lui, il était encore plein de ressources. Harry commençait à connaître ses amis, ils s'entendaient tous plutôt bien, et à présent leur quotidien consistait à squatter chez l'un d'entre eux pendant quelques jours, puis chez un autre, et ainsi de suite, une espèce de couch-surfing angoissant, car du jour au lendemain ils pouvaient se faire prendre chez l'un d'entre eux.

Les 400 euros que Louis s'était faits en vendant le collier et le bracelet du petit avaient été suffisants pour bien vivre pendant environ une semaine. Harry et lui vivaient et mangeaient comme des rois; ils se faisaient des restos comme s'ils en avaient vraiment les moyens, ils faisaient les courses pour ceux qui les hébergeaient et passaient leurs journées à la plage ou en bas de l'immeuble de Tarek. Là, ils s'installaient sur des chaises en plastique, les bords des trottoirs ou s'adossaient contre le capot de vieilles voitures, entourés d'autres mecs de la cité, et ils discutaient, rigolaient, fumaient, jouaient au foot entre eux et des fois même avec les petits du quartier qui, déjà, voulaient tout faire comme eux, parlaient mal et n'avaient pas froid aux yeux. Ce n'était pas étonnant; la rue, c'était leur seul repère.

Harry est plutôt apprécié, des garçons comme des filles. Et puis personne ne se doute de rien; Louis et lui gardent leurs distances. Aux yeux de tous, aux Rosiers, ils sont collègues, irréprochables, incorruptibles. Et c'est la nuit qu'ils se retrouvent, quand personne ne les voit ou les entend, c'est la nuit qu'ils s'aiment en silence, fiévreux et affamés, comme s'ils ne pouvaient jamais en avoir assez.

Louis a toujours peur. Il se dit qu'un jour, tout ça, ça va finir par leur sauter au visage.

*

Un jour torride, ils paressent sur la plage des Catalans; bruyante, bondée de gens, locaux et touristes, et c'est tant mieux. Plus ils se fondent dans la masse, mieux c'est.

On entend de la musique depuis un petit poste de radio planté dans le sable, à quelques mètres d'eux, chez leurs voisins. Louis prend le soleil, allongé sur une grande serviette. Les yeux fermés, la peau qui brûle un peu, il fait le vide.

Assez vite il commence à avoir soif, alors il tourne la tête vers sa droite, un œil fermé, l'autre à peine ouvert, aveuglé par la lumière.

- T'as de l'eau ?

Harry ne lui prête pas attention. Il est allongé, le haut du corps un peu redressé alors qu'il s'appuie sur ses coudes. Il regarde quelque chose au loin, à droite. Ou quelqu'un.

- Oh Harry. Tu regardes quoi ?

- Y'a mon ex, Louise.

Et c'est suffisant pour que Louis se redresse complètement. Il s'assoit et se met à la chercher du regard, même s'il ne sait pas à quoi elle ressemble. Harry la pointe discrètement du doigt.

- Bikini rose fluo, là-bas.

Louis plisse les yeux. C'est une grande brune, la peau déjà bien bronzée et qui contraste vivement avec la couleur de son maillot. Ses cheveux sont longs, ils lui arrivent au bas du dos, et elle porte une casquette à l'envers pour se protéger du soleil. Elle est carrément bien gaulée, et Louis n'aime pas trop ce que ça lui fait ressentir en ce moment. Elle dépose ses affaires à l'ombre d'un grand parasol, et elle est assez vite rejointe par un mec un peu plus vieux qu'elle; il pose sa main sur sa hanche et se penche pour l'embrasser, et tous les deux s'éloignent vers la mer.