Dimanche - 1

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J'ai trois passions dans la vie : le dessin, l'ajout de fromage fondu sur à peu près tous mes plats, et les yeux bleus d'Ilona. Elles peuvent paraître bien simples et futiles, mais de mon point de vue de lycéen en classe de terminale, elles me rendaient heureux et m'occupaient tous les jours, ce qui était je crois l'essentiel.
En effet, en ce dimanche après-midi, mes trois passions étaient réalisées à leur plus haut point. 

Premièrement, mon portfolio était fin prêt pour mon application à la prestigieuse école de dessin Marie Friedrich, à Paris, un rêve de gosse. De cette école sortait les plus grand maîtres du dessins, elle était réputée mondialement, et mon oral d'admission était lundi prochain. J'avais passé plus de de deux ans, dès la seconde, à construire un portfolio de ce que j'estimais être mes plus belles œuvres, pour les présenter au jury. J'avais passé des heures à peaufiner mes dessins, à retoucher les traits, à réfléchir aux compositions, aux couleurs, à ce que je voulais dégager. Et j'avais aujourd'hui. J'avais passé l'après midi à mettre bien les grandes feuilles canson dans la pochette rouge achetée spécialement pour l'ocasion. Elle reposait maintenant sur mon bureau, à coté de mon ordinateur. Je n'avais plus qu'à attendre lundi, où je pourrais présenter mon travail. Je stressais un peu, mais j'étais fier de tous les efforts fournis pour réaliser mon rêve.

Deuxièmement, le repas de ce soir consistait en une raclette. Et j'avais le sourire rien que d'y penser.

Et pour finir, ce qui faisait de ce dimanche une journée particulière, et sans doute parmi les meilleures de ma vie, c'était qu'Ilona avait accepté un rendez vous, ce soir, à vingt et une heure. 
J'étais tombé amoureux d'Ilona le premier jour où je l'avait vue. Un visage fin, des cheveux blonds et lisses, de grands yeux bleus, je n'étais certainement pas le seul garçon à avoir remarqué sa beauté. J'avais passé six mois à la regarder de loin, à rêver de son regard, à détourner les yeux au dernier moment quand elle tournait les siens vers moi, sans jamais lui parler. Je la voyais rire de loin, entourée de ses amis, de gens ayant bien plus de confiance en eux que moi, comme un ange que je ne pourrais jamais approcher. Je m'étais fait mille films, milles histoires dans ma tête. Quand enfin, la semaine dernière, me sentant pousser des ailes à l'annonce de mon admissibilité aux oraux de l'école Marie Friedrich, et encouragé par mon meilleur pote, Emile, j'avais, dans un moment de folie, eu le courage d'aller lui parler. Je ne me souviens pas très bien de ce que je lui ai dit, parce que l'émotion avait été trop forte et en avait brouillé le souvenir, mais apparemment, ça s'était super bien passé, vu qu'elle avait accepté un rendez vous ce soir. Ce n'était pas grand chose, vu comme ça, juste une balade, pour parler un peu, mais pour moi, c'était... magique. 

Aujourd'hui, j'avais l'impression que toutes les étoiles s'alignaient.

Il était actuellement dix-neuf heures. Ma chambre était rangée, avec les livres parfaitement alignés sur mon étagère, mon bureau en ordre avec juste mon ordinateur et ma pochette de dessin par dessus. A dix neuf heures quinze, j'ai rejoint mes parents dans le salon, et je les ai aidé à mettre la table. La télé tournait dans le fond, ça parlait d'une guerre lointaine dans le monde. Mon père semblait inquiet, mais il l'était toujours. La télé n'apportait que des mauvaises nouvelles, tout le temps. Moi, j'avais juste un grand sourire aux lèvres, et la seule chose qui était dans ma tête était le rendez vous avec Ilona. J'ai dévoré la raclette, en engloutissant d'immenses quantités de fromage. Ma mère était agréablement surprise de ma bonne humeur, et m'en a demandé la raison, ce à quoi j'ai simplement répondu que la vie allait bien. Je ne voulais pas leur dire pour Ilona, pour éviter d'avoir milles questions gênantes, et d'autant que rien n'était joué. J'ai dit que j'allais à une soirée, et que je ne rentrerais pas tard, promis.Mon père avait la tête ailleurs et a acquiescé, pour ensuite parler de problèmes de boulot, que je n'ai pas vraiment écouté.

A vingt-heures, j'ai quitté la table, et j'ai pris une douche. En respectant le timing que je m'étais fixé, je me suis habillé à vingt heure trente, avec un pull blanc et une veste bleue, je me suis recoiffé dans ma glace, puis je me suis assis sur mon lit, à coté de mon téléphone branché. 

Et j'ai attendu.

J'étais plutôt calme. J'hésitais à envoyer un message à Ilona pour reconfirmer, mais j'avais peur de paraître un peu lourd, et elle me l'avais bien confirmé hier. 
Ok! On se rejoint au banc au bord de l'Allier, à coté des terrains de Tennis?
Je voyais parfaitement ou se situait ce banc, je connaissais Vichy comme ma poche. Ça faisait dix ans que j'y habitais. J'avais prévu d'arriver à vingt et une heure cinq, je suis donc parti quinze minutes avant l'heure prévu. J'aimais bien quand je suivais un planning chronométré. 

Quand je suis sorti, la nuit était déjà tombé, mais les rues étaient bien éclairés par les gros lampadaires au style Napoléon III à lumière jaune. J'ai rejoint rapidement le parc qui bordait le fleuve,  ou traînaient quelques lycéens au Tahiti Bar. L'air était frais, mais agréable, et le ciel dégagé, avec la lune accompagnée des étoiles pour éclairer la soirée. Oui vraiment, tout était parfait. 

J'ai rejoint le banc à vingt et une heure cinq, et j'ai attendu.

Le monde peut bien brûlerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant