Mardi - 4

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L'hôtel n'était pas très loin. On a roulé à peine quinze minutes. Un deux étoiles quand même, on en avait pour quarante euros la nuit, à deux. On a traversé les rues d'un village endormi, aux rues pavés et pas très droites. On était pas très loin de Montluçon.
L'hôtel sentait les produits ménagers à la vanille, et avait une décoration plutôt sobre, avec un grand aquarium à l'entrée. On s'est dirigé vers le comptoir, où une dame au costume mal repassé nous a accueillis. Elle avait un visage bien rond, ça me faisait à un personnage de dessin animé. 
-Bonsoir, a dit Ariane. On a réservé une chambre, pour deux. Au nom de Deline. 
-Oui, je l'ai! Chambre n°101. La facture est déjà réglée... Vous avez des bagages à monter?
-Non, ça va aller, merci.
-Vous souhaitez prendre le petit déjeuner ici?
-Non, merci. 
-Très bien! Je vous donne les clés alors. Vous devez libérer la chambre avant midi. Bonne nuit!

J'ai ensuite suivi Ariane à travers le couloir au tapis vert et aux portes blanches numérotées. On a monté un escalier pour arriver dans un autre couloir, exactement pareil. Notre chambre était au fond. 
Elle était simple, mais confortable. La douche était grande. Il y avait deux lits, comme demandé, qui avaient l'air super douillets. Une petite télé, un minibar, un tableau mal peint représentant une plaine, je crois. 
Ariane a jeté son sac sur son lit, puis elle même, face contre l'oreiller.
-Ahh, ça fait du bien. Je suis épuisée.
J'ai installé mes affaires plus doucement. 
-Pfiou, sacré soirée. Tes parents, ça va aller?
-Oui, t'en fais pas. Je leur ai dis que j'allais dormir chez un pote. Ils poseront pas de question.
-Ok. Bon alors, demain, on part tôt, genre vers huit heures? Comme ça on est chez le garagiste vers midi, on se débrouille pour reprendre la pochette, on repart, et hop, on est heureux. 
-Tu seras heureuse, toi?
Elle a haussé les épaules.
-Peut être. En tout cas, bien plus que si j'étais resté à rien faire chez moi. Je ne peux être que plus heureuse si j'essaye. Bon, je vais prendre une douche, moi.
Je l'ai regardée se lever, aller dans la douche et fermer la porte. Quelques secondes plus tard, j'ai entendu l'eau couler. 
J'ai enlevé mes chaussures, et je me suis mis sur le lit, en croisant les doigts. J'ai pris une grande inspiration. Je crois que j'avais arrêté de réfléchir vraiment. Peut importe ce qu'il se passerait demain. J'allais probablement récupérer mon portfolio par un moyen où un autre, et je n'aurais plus de stress pour mon oral. Et après? Que se passerait-il avec Ariane?

-Qu'est ce que t'en as pensé, du cours de ce matin?
La voix d'Ariane venait de la douche. L'eau coulait encore.
-Du cours? Et bien... C'était un peu insolent de ta part, ai-je répondu en rigolant.
-Oui, c'est vrai. Mais il le méritait. Je veux dire, c'est parfaitement normal de demander à un lycéen ce qu'il veut faire plus tard, surtout à un cours qui est fait pour ça. J'ai juste... Je sais pas, je supporte pas le mépris. 
-Oui. Ça a fait du bien à toute la classe. 
-Parfois, quand les gens vivent une situation oppressante, ils n'ont pas besoin d'une révolution complète. Ils ont juste besoin de savoir que c'est possible de protester. Tu vois, on peut rien faire contre Mr.Machon. Il sera prof jusqu'à sa retraite, et à moins qu'il dépasse vraiment les bornes, il sera là année après année, à mépriser des classes entières. Personne sait pourquoi il fait ça, même pas lui. Mais pour un élève qui osera jamais répondre, pour une personne qui osera jamais s'engager, voir quelqu'un d'autre le faire, c'est hyper important. Ça montre le chemin, et un jour, un jour, le chemin mental sera fait, et dans dix ans, il osera.
-Et c'est toi qui viens nous sauver, alors?
A ce moment, Ariane est sortie de la douche, avec juste une serviette nouée autour d'elle, qui s'arrêtait un peu au dessus de ses genoux. Elle avait noué ses cheveux en un chignon pour ne pas les mouiller, et sa peau était encore un peu humide. De la vapeur se dégageait légèrement de ses épaules. Elle est allée vers son lit.
-Bah, je fais de mon mieux, mais c'est pas facile de sauver autant d'idiots, hein. Et... oh, ça te dérange que je sois en serviette? J'en ai pour deux secondes.
Encore une fois, j'ai failli rougir, mais j'ai gardé un visage neutre.
-Non, non, pas du tout.
Elle a pris deux vêtements dans son sac, puis est retournée se changer dans la salle de bain. Elle est ressortie en ayant mis juste un grand T-shirt et, je suppose, une culotte en dessous, ce qui n'était pas mieux que la serviette. Elle n'en avait rien à faire. Elle est allée sous sa couette, se redressant un peu contre l'oreiller sur son mur. 
-Tu vas pas prendre ta douche?
-Je la prend le matin.
-Ah oui? Je préfère toujours le soir. Ça m'apaise, ça nettoie toutes les bêtises de la journée. 

Des bêtises... C'est sur que j'en avais fait une immense, là, ce soir. Et pourtant, je me sentais à ma place. C'était étrange. C'était comme si une bulle s'était formée. Juste elle et moi, dans une chambre d'hôtel, sans que personne ne sache où on était. J'avais perdu ma pochette, on allait après des cambrioleurs, je ne la connaissais même pas, mes parents me tueraient s'ils savaient ce que je faisais, je loupais les cours, on conduisait sans permis. Et bien, j'ai mis un peu de musique. Ariane a agité les bras pour faire semblant de danser assise dans son lit, en défaisant ses cheveux. 
-On va faire comment demain?
-Tu veux dire, pour ta pochette?
-Oui, pour ma pochette. C'est un peu pour ça que tu m'as entraîné là dedans, hein, ai-je fais avec un sourire.
Elle a pris un air exagérément choqué.
-Que je t'ai entraîné? T'avais pas l'air de beaucoup te forcer, je te signale. 
-Tu m'as pas laissé le choix! J'avais besoin d'un chauffeur!
-Hey! J'espère que je suis plus qu'un chauffeur, quand même!
-Hmmm... t'es drôle, parfois.
J'ai reçu un oreiller dans la figure. Je l'avais mérité. 
-On verra, a t-elle dit. J'ai plein de plans. Mais on parlera demain. On a quatre heures de route. Ce soir, on a pas besoin d'en parler. 
J'ai acquiescé. Comme je ne savais pas quoi faire, j'ai monté le volume de la musique. Midgnight City de M83 a résonné dans la chambre d'hôtel. 
Et on a voulu tout oublier. On s'est mis à danser. Comme des enfants. A chanter, aussi, la mélodie à fond. La regarder, elle, sauter sur son lit, en riant, cheveux volants, juste dans son grand T-shirt, et gueuler avec elle, m'a fait oublier tout le reste. Toutes les bêtises, tous les problèmes.
On s'est fait interrompre par un appel sur le fixe de l'hôtel posé à coté de mon lit. C'était la responsable de l'hôtel qui nous disait de faire moins de bruit, parce que d'autres clients s'étaient plaints. On s'est excusés, puis quand j'ai raccroché, Ariane et moi on s'est regardé et on a éclaté de rire. 

Ce soir là, on a encore parlé longtemps. De tout et de rien. On était tous les deux allongés dans notre lit, et je voyais sa main posée sur sa tête, ses yeux un peu brillants. Quand la fatigue est venue nous rendre visite, et un de ces silences apaisants avec, je l'ai juste entendue chuchoter:

Merci.


Le monde peut bien brûlerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant