Mardi - 1

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Mardi matin, je me suis levé avec un message d'Ariane. Autant dire, je me suis levé avec le sourire.
Hey, on a projet professionnel ensemble tout à l'heure!
J'avais complètement oublié. Ce matin, on avait pas vraiment cours, mais on nous réunissait en petit groupe (qui se trouvaient être les mêmes groupes que pour les cours de langues) dans des sortes d'ateliers pour parler de l'orientation post bac. On en avait déjà eu un au début de l'année. L'idée aurait pu être pas mal, le problème, c'est que de toutes les personnes qui animaient l'atelier, notre groupe était tombé sur le seul qui n'était vraiment pas fait pour ça. 

Mr.Machon avait environ cinquante ans, et avait des idées bien arrêtées sur le sujet de l'orientation des jeunes lycéens. Ainsi, quand je lui avait fait part de mon envie d'intégrer une école d'art, il m'avait demandé ce que je comptais faire en parallèle. C'était un peu "fais ce que tu veux, mais fais de l'argent". Je me suis imaginé sa tête si je lui annonçais que j'avais perdu ma pochette, et donc toutes mes chances d'entrer dans cette école. Ah, et aussi que j'allais peut être partir essayer de la reprendre à des cambrioleurs, en compagnie d'une fille que je viens de rencontrer, et qui n'a même pas le permis.

Quand je suis arrivé dans la salle de cours, les tables avaient été poussées et les chaises mises en ronde. La plupart des élèves étaient déjà assis, et j'ai vu Ariane, mais il n'y avait plus de place à coté d'elle. On s'est dit bonjour d'un clin d'œil.
-Bien, a lancé Mr.Machon, maintenant que tout le monde est là, on va pouvoir commencer.
Il intimidait un peu. Il avait un visage dur, et une chemise blanche impeccablement repassée. Je crois qu'il était prof de maths, à la base. Il a commencé par nous présenter les modalités de l'inscription post-bac, avec un discours sur l'importance de trouver un travail responsable et de savoir distinguer ce qu'on aime faire et ce qu'il est utile de faire, qu'il faut être réaliste, etc. Au passage, il en a profité pour raconter que lui, à notre âge, il avait déjà un emploi en parallèle qui lui permettait de payer ses études. J'ai pensé à Ariane, qui travaille tous les soirs depuis un an, jusqu'à vingt-deux heures, et qui avait à peine gagner de quoi payer ses frais de scolarité l'année prochaine. 
Puis, on a fait un tour rapide, on devait juste se présenter et dire où on en était pour l'orientation. Certains ne savaient toujours pas quoi faire, d'autres hésitaient. Il y avait une fille qui voulait faire médecine. Quand est venu mon tour, j'ai annoncé simplement que ça n'avait pas changé, que j'avais mon oral d'admission pour mon école de dessin lundi prochain, et que j'étais plus que jamais determiné. En soit, cela avait une part de vérité. 
-Et, est ce que tu comptes faire quelque chose en parallèle? m'a demandé Mr. Machon.
-En parallèle? Comment ça?
-Et bien, une licence, je sais pas, de physique par exemple. 
-Euh non, pas vraiment... Je compte réussir mon école...
Il n'a rien dit, mais son visage exprimait beaucoup. J'avais envie de m'en aller, je ne voulais pas perdre mon temps. Ca m'a rendu furieux. J'ai juste serré ma chaise plus fort. 
Quatre personnes et quatre remarques désagréables plus tard, c'était au tour d'Ariane. Mr. Machon lui a alors lancé:
-Alors, qu'est ce que tu veux faire plus tard?
-Je ne sais pas, et vous? 
Le visage dur du prof est resté figé, puis il a littéralement commencé à se décomposer. 
-Comment ça... et bien... j'ai déjà un métier, moi!
-Et bien, répondit Ariane, qu'est ce que vous voulez faire plus tard? Je veux dire, c'est fou ça, on nous demande toujours ce qu'on veut faire plus tard, mais ensuite, la question disparaît. On ne rencontre que très peu de personnes de cinquante ans qui ont des projets, alors qu'elles n'ont pas moins de raisons que nous d'en avoir. Au contraire, elles ont bien plus de moyens, de liberté et d'expérience! Comme si le "ce qu'on veut faire plus tard" n'existait plus quand on obtient son premier emploi. On devrait...
-Ça suffit!
Mr. Machon avait retrouvé ses couleurs. Evidemment, il est redevenu normal, et a empeché Ariane de continuer en la menaçant d'une punition pour insolence. C'était quelque part de l'insolence, certes, mais j'aurais bien aimé qu'elle continue.

Le reste du cours n'a servi qu'à plus m'énerver. J'avais tellement envie de lui montrer qu'il avait tort. A la sortie, je suis allé voir Ariane.
-On va chercher ma pochette. Dès que possible. 





Le monde peut bien brûlerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant