Quelques Mots À Propos De Nous

-16-

Le lendemain, Lennie se dirigea à la bibliothèque, au temps de midi. Elle s'assit sur un des poufs oranges qui étaient disposés entre la rangée des romans à l'eau de rose et des dystopiques. Elle se laissa s'enfoncer entre les couches de tissus, de mousses artificielles et de grains de polystyrène, puis sortit la feuille de cette fille -c'était ce qu'elle avait fini par en déduire devant l'orthographe utilisée-. Elle n'en attendit pas plus et se replongea dans la lecture.

« La lame lui echappa des mains, rebondit dans un silence lourd sur la moquette, pendant qu'elle s'accrochait à cette misérable image pour ne pas sombrer.

Pourtant lorsque ses genous flanchèrent, elle ne tenta rien pour rester debout et se laissa tomber à côté de l'objet à l'origine de cette mauvaise chute -qui n'était pourtant que le début de sa fin.

Ses idées s'emêlèrent, créant une toile de souvenirs et de souhaits absurdes dans sa tête, plafond de ses rêves les plus irréalisables et puériles.

Au début elle avait cherché une certaine logique à tout ça, elle avait toujours imaginé qu'en creusant un peu elle finirait par y trouver un quelconque sens. Mais vingt ans plus tard, il n'y avait toujours rien, et elle décida donc le cœur lourd de déposer les armes, d'arrêter cette guerre déchirante et inutile contre elle-même.

Ce fut au cours de son dernier souffle qu'elle accepta enfin qu'elle n était pas comme eux, qu'elle ne voulait pas l'être, et qu'elle ne le serait jamais.

Les épaules un peu plus légères, comme enlevées d'un poids lourd qui lui courbait le dos, elle sentit presque son âme se soulever lentement de son enveloppe charnelle et remonter en direction des cieux qui l'avaient tant fait rêver. »

Lorsque les derniers mots l'eurent traversée, elle du s'adosser au dossier mou du pouf et inspirer profondément. Elle aurait voulu réfléchir à tout cela, à tout ce qu'elle venait de lire et essayer de tout comprendre -peut-être même de le relire pour être sûre de n'avoir oublié aucun détail. Mais une ombre se dessina au dessus d'elle, la tirant de ses réflexions. Pourtant elle n'y fit tout d'abord pas attention, s'imaginant que si elle ne lui répondait pas, la personne finirait par se lasser et s en aller. Mais un raclement de gorge l'obligea finalement a tourner la tête dans la direction de ce son qui l'insupportait.

« Oui ? souffla-t-elle sans grand enthousiamse.

-C'est à moi, dit simplement le garçon agitant le bout de son index en direction de sa main droite. »

Dans un premier temps Lennie n'eut pas compris. Sa main lui appartenait ? Légèrement étrange... Puis elle se rappela dans un éclair de lucidité qu'elle tenait une feuille dans cette main. La rédaction d'un parfait inconnu qui avait essayé de se suicider.

« Donc tu es ? demanda Lennie en laissant son regard couler sur son corps en le devisageant.

-Tom. Maintenant rend-moi cette fichue feuille. »

Alors qu il essaya de l'attraper de lui-même, Lennie recula sa main un peu plus loin de façon à ce qu il ne puisse plus l'atteindre de l'endroit où il était. Il lui lança un regard noir avant de se pencher d'avantage, jusqu'à presque en tomber sur Lennie.

Celle-ci se releva en sursaut et s'eloigna de quelque pas en lançant :

« Donc t'es transsexuel ?

-Quoi ? Non ! dit-il presque en s ettouffant. »

Lennie fouilla dans ses souvenirs, rejeta même un rapide coup'd œil au texte, c'était bien l'orthographe utilisée pour parler d'une fille. Mais Lennie ne chercha pas non plus à tout comprendre, et elle savait que si lui avait sa feuille à elle, c'était qu'elle tenait vraiment son travail dans les mains.

« Où est ma feuille ?

-Chez moi, soupira Tom en laissant retomber ses bras le long de son corps.

Elle pencha légèrement la tête sur le côté en le fixant dans le yeux et en se mordant la lèvre, geste qu'elle faisait lorsqu'elle reflechissait ou qu'elle voulait se donner un petit air supérieur, provocateur.

« T'as pas ma feuille ? Tu n'auras donc pas la tienne non plus mon cher.

-Allez, fais pas la chiante !

-Mais je ne fais pas la chiante : je suis chiante. Reviens me voir lorsque t'auras la mienne.

Sur-ce, elle s'éloigna de lui, après s'être penchée en avant et avoir récupéré son sac à dos délavé.