Chapitre III

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Le quai est, comme à son habitude, bondé. Moi et ma valise, nous glissons dans cette cohue et entrons dans le train. Une fois ma valise posée et mon manteau retiré, je m'assoie dans la septième cabine et attends patiemment une heure l'arrivée à Londres. Quand Emma est installée, je lui raconte mon malheur.
– Ah, merde ! Pourquoi il s'invite celui-là ?
– Je ne sais pas mais tu vas voir que si tu restes plus de deux minutes avec lui, tu as juste envie de lui coller ton poing dans la figure ! En plus, il pue.
– On dirait que tu ne l'aimes pas beaucoup...
– Non, sûrement pas lui ! Bon, sinon il y a l'autre qui attend dans la neuvième cabine, je crois qu'on l'a assez fait poireauter comme ça.
Je compose le numéro d'Emma et laisse mon téléphone sur haut-parleur (et oui, j'utilise beaucoup cette technique !). Je m'avance donc vers la neuvième cabine, vérifie qu'Emma m'entend, puis je rentre à l'intérieur. L'homme en noir y patiente, assis sur la banquette de gauche. Je ferme la porte et m'assoie en face de lui. Il ferme alors le rideau de la petite fenêtre et se rassois.
– Eh bien Alice, tu es en retard.
Mais il ne m'a même pas donné d'horaire !
– Avant d'arriver à un rendez-vous secret, je m'assure toujours de ne pas être suivie.
Mouais, mouais... On a connu meilleure excuse...
– Très bien tu seras très bonne. Les gens comme toi apportent de la fraîcheur à notre groupe, dit-il d'une manière que si on n'a entendu le reste on peut penser qu'il parle d'une bouteille d'eau.
– Je suis... euh... oui, toujours prudente, j'hésite entre le compliment et la remarque désobligeante.
Surtout envers des gens comme vous !
– Je sens des arrières pensées dans ton regard et dans ta voix.
Est-il voyant ? Ou bien sait-il juste voir les émotions des gens ?
– Ça te perturbe que je puisse voir dans tes pensées ?
Oh mon dieu ! Il a choisi la première option ! Au secours, je suis avec un fou qui lit dans les pensées !
Il me regarde maintenant avec une expression entre la surprise et l'amusement, je dois avoir la bouche ouverte et les yeux écarquillés.

Un bruit dans le couloir me fait me retourner. Je regarde par le rideau et en me rasseyant, je remarque une oreillette sur l'homme en face de moi. Ah bon ? Comme ça il n'est pas le seul à ne pas avoir confiance en moi ? C'est bizarre de ne pas avoir confiance en un inconnu, je trouve... Surtout s'il vous fait des remarques bizarres !
– Je suis sur écoute, c'est ça ? dis-je qu'à moitié étonnée.
– Moi aussi.
Ah zut, il a dû voir mon portable qui dépasse de ma poche !
– Tu sais, durant toutes ces années de loyaux services rendus à l'État, j'ai appris à reconnaître les espions. Et tu en es une.
Il a en partie raison, car déjà, il est sur écoute, et moi et Emma avions créé une société secrète quand nous étions plus petites, dont nous étions les deux seules membres. Mais là s'arrête la comparaison, dire que je suis une espionne, là il exagère un peu. C'est vrai c'est mon rêve et me dire ceci signifie que tous les films d'enquête que j'ai regardés dans ma vie, n'ont pas servis à rien. Mais... bon, je m'égare.
Mon expression change selon mes pensées, et il me répond par la même expression changeante. Nous nous battons ainsi du regard durant une minute.
– Ah, ces jeunes et leur envie de toujours avoir le dernier mot...
Il se lève, ouvre la porte et part. Plus tard, je me demande à quoi a servi cet échange. Car je ne lui ai pas posé mes questions et il ne m'a pas dit son secret sur mes parents. Je retourne dans notre septième cabine et raccroche.
– Bon, et bien, au moins tu sais qu'il n'aime pas les jeunes, plaisante Emma.
– Ça c'est sûr !

Durant tout le reste du voyage, je discute avec Emma de cette conversation. Elle est du même avis que moi sur le fait qu'elle n'est d'aucune utilité et que je n'ai pas avancé. Pourquoi a-t-il prit contact avec moi pour ne rien dire ?

Nous arrivons bientôt à Oxford, alors nous rangeons nos affaires et descendons du train. Point positif, mon voisin ne nous a pas embêtées durant le voyage.
Nous rejoignons nos chambres. Comme d'habitude, quand nous arrivons, c'est le soir, nous descendons donc manger dans la salle commune. Une fois le repas terminé, nous remontons dans notre chambre avant le couvre-feu et nous mettons en pyjama. L'heure où notre imagination tourne à cent à l'heure est arrivée. Les derniers jours étant particulièrement mouvementés, Emma n'a aucun mal à inventer des histoires. Et puis, toutes deux exténuées, nous nous endormons d'un sommeil de plomb.

Les cauchemars, comme à leur habitude désormais, envahissent mon sommeil, et il est tout de suite beaucoup moins réparateur. Emma, elle, dort paisiblement dans le lit voisin du mien. Parfois, j'envie sa petite vie tranquille de Londonienne... Je repense que mon voisin dort à l'étage du dessus, ce qui ne m'aide pas à me rendormir. Il m'est antipathique et pourtant je ne connais même pas son prénom. Est-ce que j'irai lui demander ? Sûrement pas... Je pense que même si je parais dure de l'extérieur, je suis quand même timide à l'intérieur. Et puis, bon, les garçons ça n'a jamais été ma grande spécialité... Non, je n'irai pas le voir. Il faut que je dorme maintenant. Je ferme les yeux et tout devient noir, enfin.

Une fois réveillées et habillées, Emma et moi descendons pour le petit déjeuner. Sans que je ne m'en rende compte, mon voisin, (mais c'est quoi son nom ? J'en ai marre de l'appeler «mon voisin» ! Il va falloir que je me fasse violence et que j'aille lui demander. Plus tard...) s'est assis à côté de moi et ça veut dire qu'il enfreint la première règle.
– Qu'est-ce que tu fais là toi ? Tu te souviens de ce que je t'ai dit ? dis-je une fois revenue à moi.
– J'ai cru que comme je venais d'arriver, les règles ne s'appliquaient pas encore.
– Et bien, tu te trompes. Elles s'appliquent dès maintenant. Alors dégage !!!
J'ai peut-être un peu crié fort : tout le monde me regarde d'un air éberlué. Je suis debout le doigt pointé vers la sortie. Oups !
– Qu'est ce qui t'arrives ? me souffle Emma.
– C'est lui, dis-je encore toute rouge car des chuchotements bruissent des quatre coins du réfectoire, c'est de sa faute !
Mon voisin, lui est parti en abandonnant son plateau sur sa place.
– Tu vas aller t'excuser ! me dit Emma.
Elle veut devenir détective, mais je trouve qu'avocate lui va tout aussi bien, car dès qu'il y a une dispute, c'est toujours elle qui la règle.
– Si tu veux...
Puis je pars dans la direction qu'a empruntée mon voisin.
J'ai beau ne pas l'aimer, je suis d'accord avec Emma, c'est pas sympa ce que je lui ai dit.
Je le trouve quelques couloirs plus loin, adossé contre le mur la tête dans les mains. Il me fait pitié comme ça.
– Salut, désolée pour tout à l'heure.
Il lève la tête et me regarde de ses yeux mouillés par les larmes.
– C'est pas grave, j'ai l'habitude...
Parce qu'en plus c'est une victime !!!
– Ah.
Très encourageant, je sais. Mais je vous ai déjà dit que je ne savais pas comment m'y prendre avec les garçons !
– Tu n'as pas fini ton petit déjeuner tu veux venir à notre table pour le finir ?
Ne me demandez pas ce qui m'a prise, j'ai été prise d'une soudaine compassion pour lui.
– Pourquoi pas, oui.
– Au fait comment tu t'appelles ?
Victoire !!! J'ai enfin réussi à dire plus de deux mots à un garçon !
– Luke.
Pas moche comme prénom !!! C'est quoi cette odeur ? Du parfum ? Il aurait mis du parfum ? Nooooooon ?????? Bon, si c'est ça alors, j'accepte qu'il vienne manger à ma table.
À partir de ce jour il passe toutes ses récrées avec nous. Comment en est-on arrivé là ? Bonne question.
Jours après jours je l'apprécie de plus en plus. Je sais ce que vous vous dîtes : « bouuuuh... ça pue l'amour !!! ». Pas du tout ! Il y a des limites. C'est un ami, un point c'est tout ! Apparemment, Emma pense comme vous car elle me charrie à longueur de journées.
– Alors avec Luke, ça avance ?
– Arrête Emma ! Laisse-moi dormir !
– Bon, ok. Mais tu ne perds rien pour attendre !

Au pensionnat, tous les jours, on reçoit le journal. Ce matin-là, un vol dans une banque est en gros titre. Un frisson glacial me parcourt la colonne vertébrale. Bizarrement le décor ressemble beaucoup à mon rêve... Il ne manquerait plus que je fasse des rêves prémonitoires ! Pour le coup, je m'en passerais bien ! Pfft ! Mes parents ! Des voleurs ! N'importe quoi ! Il n'empêche que quand j'en parle à Emma, elle trouve que finalement l'idée des voleurs ne serait pas si improbable que ça. Pour couronner le tout, M. Antipathie m'appelle dans la même journée. À lui non plus je ne connais pas son nom. Il faudrait que je lui demande. En tout cas j'aurais mieux fait de ne pas me réveiller ce jour-là, même si ce qui va m'arriver est mon rêve depuis que j'ai regardé mon premier film d'enquête.

Je suis appelée à enquêter sur le vol dans la banque de Londres qui a fait la une de The Daily Telegraph ! Je devrai être heureuse, mais non. Car cela signifie que je dois partir et que je ne reverrai plus Emma tant que l'enquête ne sera pas finie. Je me creuse la tête pour trouver une autre solution et pour qu'Emma puisse m'accompagner, mais rien ne vient.
Et puis, il y a Luke... Non, non et non, je ne cèderais pas ! C'est un ami et c'est tout ! Mais bon... STOP ! Revenons à nos moutons, j'étais en train de dire que je cherche une solution à mon problème. Rien. Rien. Et rien. Aaaaaarg ! Ça m'énerve, je n'aurais jamais dû accepter ! À quoi ça m'avance ??? Hein ??? Rien. Rien. Et rien. Mes parents sont peut-être des voleurs, je suis entrée dans une société secrète où un mec antipathique m'a demandé de résoudre un vol dans la Bank of England à Londres, si j'enquête sur cette affaire je ne pourrais plus revoir ma meilleure amie, (et la seule) tant que ça ne sera pas fini, et je commence à me demander si je n'ai pas un faible pour mon voisin que me suis jurée de détester jusqu'à la fin de mes jours !!!!!!
Vous vous demandez sûrement où je me trouvais durant ce long monologue ? Ne vous inquiétez pas, je n'étais pas au milieu d'un couloir. Non. Je m'étais enfermée dans la chambre et... j'étais seule. Donc, personne ne va penser que je suis folle, même si, j'avoue, il n'aurait pas tort.

Je reçois donc le lendemain une lettre d'excuse pour dire que je ne serai pas là durant les deux semaines à suivre. Et le plus étonnant n'est pas la lettre, mais le fait qu'elle est signée par mes parents ! Je soupçonne directement les agents secrets de ce coup, même si ce n'est pas une mauvaise idée car mes parents n'auraient jamais accepté que je quitte l'école durant la semaine. Au dos de l'enveloppe il est écrit : Donne-la dès que possible au proviseur, il acceptera. Ensuite fais tes affaires et pars. Ne communique ces informations à personne. Tu trouveras dans l'enveloppe un billet de train pour Londres, Ne rate pas le départ ! À bientôt. Signé : Tu Sais Qui.
Très mystérieuses comme informations. Il faut s'y habituer avec M. Antipathie. Je suis très tentée de mettre Emma au courant, qui mettrait sans aucun doute Luke au courant. Ah... Luke...
– Alice qu'est-ce que tu fais ?
Je suis tirée de mes rêveries par Luke lui-même.
Qui lui a dit où se trouvait notre chambre ? Sûrement Emma. Ah ! Celle-là elle va m'entendre quand je vais la retrouver ! Et c'est quoi ça ? L'uniforme ? Il lui va plutôt bien ! Le polo sur les épaules, faut reconnaître, c'est pas une mauvaise idée ! Toujours ce parfum, et... une nouvelle coupe ! Est-ce vraiment lui ? Le mec dégueulasse que je connais depuis toujours sans lui avoir jamais parlé ? C'est comme si le bossu de Notre Dame venait de se transformer en Brad Pitt. Autant dire impossible ! En plus, pourquoi voudrait-il de moi ?
Mes cheveux sont longs, couleur chocolat noir et légèrement bouclés. Mes yeux sont bleus océan, on pourrait presque y voir les vagues. Je ne suis pas grosse et juste de la bonne taille. Mes lèvres, même sans rouge à lèvre, sont couleur cerise griotte. Ma peau, couleur fleur de cerisier au printemps. Mes mains ont de longs doigts qui conviennent parfaitement à la pose de vernis. Mon nez, eh bien on dirait une trompette, quand je souris des fossettes apparaissent aux coins de ma bouche et l'uniforme est bien ajusté, comme je vous le dis, rien de magnifique ! Pourtant, j'ai toujours attiré les regards.
– Alice ???
– Oui, je suis toujours là. C'est pour quoi ?
– Emma voudrait te voir, elle se demande ce que tu faisais toute seule dans la chambre.
J'hésite toujours à les mettre au courant. Oh mon dieu ! Me voilà qui inclus Luke dans notre groupe ! Donc je n'hésite pas à les mettre au courant, mais j'hésite à mettre Emma au courant. Voilà qui est mieux. Il n'empêche que ça ne donne toujours pas de réponse à ma question ! Mais si ! Si je leur dit, les agents secrets seront obligés de les emmener avec moi ! C'est ça, enfin !!!
– J'ai trouvé ! dis-je en me jetant dans les bras de Luke.
Quelle idée ??? Je crois que je vais le regretter.
– Je...euh... ouais, c'est cool... bégaie-t-il.
Je me dégage de lui, car comme on le sait tous, Luke n'est qu'un ami.
– Il faut qu'on descende pour le dire à Emma ! m'excité-je.
– Oui, mais quoi ?
Encore une fois trop tard, je suis déjà presque en bas de l'escalier.
J'arrive en boulet de canon dans le réfectoire, (dites donc, il s'en passe des choses ici !) et prends Emma par les épaules pour l'entraîner dans le couloir.
– Tu ne vas pas en croire tes oreilles !
– Si tu arrêtais de sauter ce serait plus simple de te suivre, me coupe Emma.
– Ok, il faut qu'on retourne dans la chambre !
– Et Luke, il est où ? Tu sais qu'on reprend les cours dans cinq minutes ?
– Oui, oui, mais c'est très important !
– Alors vas-y, je t'écoute.
– C'est pas possible ici, c'est top secret.
DRIIIIIIIIING !!!! La sonnerie retentit, mettant fin à notre conversation.
– De toute manière, ça sonne, constate Emma.

Pour le plus grand bonheur d'Emma, Luke est dans la même classe que nous et en plus, il est assis à côté de moi !!! Je trouve que les profs lui facilitent un peu la tâche. C'est facile de dire que tu es amoureuse de ton voisin qui a demandé à se mettre à côté de toi le premier jour, car tu es la seule personne qu'il connait. Et bien sûr, comme il ne faut pas laisser un élève sans amis dans une nouvelle école, les profs ont accepté.

Les deux heures de cours qu'il m'a fallu attendre avant la pause pour pouvoir en parler à Emma et à Luke, (bon, oui, je lui ai dit, donc, il part avec nous.) m'ont paru interminables.

Le lendemain, nous recevons une enveloppe chacun. Moi aussi ? À quoi ça sert ? J'en ai déjà reçue une. Tous les trois nous ouvrons notre enveloppe en même temps. Celle d'Emma contient un billet de train, un mot et une lettre, celle de Luke, le billet, un mot et une lettre et la mienne, le billet, le mot, la lettre et une carte. Nous lisons notre lettre tous les trois en même temps : Apparemment Alice vous a invité dans l'enquête. Rendez-vous demain à la gare de Londres à 10h00. Le retard ne sera pas toléré. N'oubliez pas vos affaires ! Donnez votre mot d'excuse aujourd'hui et pliez bagages. Encore une fois, je vous demande de n'en parler à personne, ce qui sera inutile si vous êtes du même tempérament qu'Alice, sachez tout de même que toutes les personnes mises au courant à partir de maintenant auront droit à un effacement de mémoire. Nous ne vous fournirons pas d'autre billet alors ne ratez pas le train ! (Tu as de la chance Alice que nous t'en donnions un autre ! Car le premier est périmé.) À demain.
Signé : Alice Sais Qui.
PS : Résolvez l'énigme rapidement ! Nous n'aimons pas les retardataires ! 
– Bon, bah, comme ça, c'est clair ! constate Luke.
– Ils sont sévères chez ton M. Antipathie ! dit Emma.
– Ils m'ont donné le plan de Londres. Comme si je ne connaissais pas déjà la ville par cœur ! À force de me perdre en venant chez toi, je connais tous les recoins de cette ville !
– On ne sait jamais, ils vont peut-être nous faire passer par les égouts, suggère Luke.
– Non, pas les égouts ! Dans les égouts, il y a des rats ! Et entre les rats et moi ce n'est pas une grande histoire d'amour, se plaint Emma.
– De toute manière, on n'a pas le choix. Alors direction le bureau du proviseur, ce midi on fait les valises, et demain matin rendez-vous devant le portail à sept heures piles. Prenez de l'argent parce je crois que l'hôtel, la nourriture et le transport ne sont pas compris dans la formule classique. C'est bête, on aurait dû prendre la formule premium ! plaisanté-je.
Le lendemain, à sept heures, comme prévu, nous sommes tous devant le portail prêts à partir. Nous prenons un taxi jusqu'à la gare et partons pour Londres. À dix heures, nous sommes à la gare de Londres.
– Nous y sommes.
– Je crois que c'est lui, là-bas, dis-je en désignant un homme tout en noir.
Apparemment, il aime beaucoup le noir !
– C'est parti pour l'enquête de notre vie ! s'enthousiasme Emma.

Les Enquêtes d'Alice | Tome 1 Débuts à Londres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant