Cette histoire fait suite à l'os précédent "cœur". Bonne lecture !
- Ce que je veux dire, annonça Crowley. Ce que je veux dire. Ce que je veux dire.
Elle tenta de focaliser sa vision sur Aziraphale.
- Ce que je veux dire, répéta-t-elle en essayant d'imaginer ce qu'elle voulait dire. Ce que j'essaye de dire, c'est...entama-t-elle avec une mine soudain radieuse.
- Les dauphins, énonça Aziraphale.
L'ange était avachi dans son fauteuil, beaucoup moins droit qu'à son habitude, et le démon, en face de lui, ne parvenait à tenir debout que grâce à l'aide d'une des colonnes soutenant la librairie. La table devant eux était chargée de bouteilles vides.
- Non, non, nonnonnon, contra Crowley en agitant l'index. Ce que je veux dire, c'est...la Saint-Valentin. Voilà ce que je veux dire.
Aziraphale se redressa un peu.
- C'est aujourd'hui. Zoulie fête.
Crowley tituba pour s'affaler sur le canapé, et enleva ses lunettes.
- Nan ! Pas jolie ! Cccccccc'est une invention....démoniaque.
Aziraphale ne répondit pas tout de suite, trop occupé à fixer les jambes nues de son amie, qu'elle croisait et décroisait machinalement. Ce simple mouvement accaparait toute son attention, et même si une petite voix lui soufflait que dans son propre intérêt, il ferait mieux d'arrêter au plus vite, sa volonté était encore plus émoussée que ses sens.
- C'est pas démoniaque ! protesta l'ange lorsque les paroles du démon atteignirent enfin son cerveau. C'est une zoulie fête des amoureux ! On a choisi ce jour...
- Parccccce que cccc'est moi qui ai eu l'idée le quatorze février, compléta Crowley.
Elle tendit la main vers une bouteille.
- Nan, c'est parce qu'on pensait que c'était la période où les oiseaux se mariaient.
Son amie le considéra en secouant la tête, avec l'impression refroidie et soutenue de quelqu'un dont le travail n'était pas apprécié à sa juste valeur, renversant un peu de vin au passage.
- Ça mange des bananes, les oiseaux, tu savais ?
- Tu confonds avec les gorilles, répondit Crowley.
Aziraphale secoua la tête d'un air buté.
- Des bananes, insista-t-il.
Le démon jugea préférable de capituler. Le libraire se leva pour se saisir d'une nouvelle bouteille, mais trébucha et atterrit sur son amie.
- Oups.
Il essayait de se relever lorsque celle-ci le retint fermement.
- Nan. Ne t'avise ssssssurtout pas de bouger, esssspèce d'adorable...bâtard.
- Mais ma chère, je dois t'écraser !
- C'est encore le putain d'archange Gabriel qui t'a dit des conneries pareilles ? La prochaine fois que je le croise, il va recevoir ma main dans sa putain de face angélique ! s'exclama Crowley.
Puis elle se déplaça discrètement parce que même si elle adorait le contact de son ange, celui-ci l'étouffait quelque peu.
- Crowley ! Gabriel ne fait que son travail, même si c'est de manière parfois...légèrement drastique.
- Ouais, ben qu'il aille donc copuler avec le putain de Princcce des Enfers, ççççça nous fera des vacances, marmonna le démon d'un ton boudeur.
Aziraphale se versa une rasade pour s'empêcher d'imaginer leurs supérieurs..."copuler"... ensemble et atteignit son verre à la quatrième tentative.
- Donc la Saint-Valentin...c'est ma création. Ççççça a plein d'avantages. Purement démoniaque, ce truc, poursuivit Crowley.
Sa tête, dodelinante, cogna doucement l'épaule d'Aziraphale. Mais elle ne la releva pas, et au contraire, se cala plus confortablement contre son ange. Avec ses boucles blondes et ses yeux gris, il lui faisait penser à un nuage. Il formait un coussin idéal. Aziraphale se raidit et tenta de se ressaisir.
- Parcccce que çççça tente les gens. Les namoureux, ils ont envie d'acheter plein de trucs pour faire plaisir à leur namoureux. C'est une fête commerciale, tu comprends ? Pas romantique.
- Mais nous aussi, on s'est offert des cadeaux ! protesta Aziraphale.
- Oui mais nous, c'est purement amical. Pas commercial, expliqua Crowley. Ni romantique. C'est pas un truc de démon, le romantisme.
Aziraphale eut l'impression que son cœur était une des bouteilles qui gisaient sur la table et que celle-ci venait brusquement de plonger vers le sol, pour s'écraser par terre. Il dessoula instantanément.
Purement amical. Pas romantique.
Alors voilà. Il avait attendu trop longtemps. Il n'avait pas été assez rapide. Son amie était passée à autre chose.
- Et puis, continua Crowley, inconsciente du désespoir du libraire, les gens qui n'ont pas de namoureux, ils sont jaloux des autres. Et du coup, en rentrant chez eux, ils vont se défouler sur leurs familles et eux, ils vont se défouler sur d'autres gens, qui font se défouler sur d'autres gens, qui vont eux-même se...et ainsi de suite. Tout le monde va se défouler sur tout le monde ! Ça aura des répercussions in-cal-cu-la-bles !
- Félicitations. Très bien joué. Tu es très douée.
Le ton du libraire était atone. Son amie, tout à son babillage, n'avait pas remarqué qu'il avait dessoulé.
- Sauf qu'en fait, t'avais raison. Tu sais quand tu dis le mal plante les germes de sa propre destruction blablabla...Parce qu'en fait...en fait...en fait...C'est moi qu'étais jalouseuh !
Jalouse !
Elle était jalouse.
Se pouvait-il qu'il y ait encore de l'espoir ?
- Pourquoi ?
Crowley le fixa de ses yeux jaunes. Aziraphale sourit. Son amie n'enlevait ses lunettes que lorsqu'elle était très en confiance. Ou sacrement ivre. En l'occurrence, il pensait qu'il s'agissait des deux.
- Ben parce que depuis qu'elle existe, j'ai jamais trouvé le courage de t'inviter ce jour-là.
L'ange leva la main et glissa ses doigts avec tendresse dans ses mèches rousses, profitant éhontément de la certitude qu'elle ne se souviendrait de rien le lendemain.
- Oh ma très chère...tout va bien maintenant...si tu veux, on s'invitera chaque quatorze février.
Crowley hocha la tête contre lui.
- Voui. Et tous les autres jours aussi, mon ange...
Le reste de sa phrase se changea en un marmonnement incompréhensible, tandis qu'elle glissait vers le sommeil. Aziraphale l'allongea amoureusement sur ses genoux et miracula une couverture en tartan.
- Autant que tu voudras.
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OS Good Omens
FanfictionUn ange bibliophile et libraire à mi-temps, un démon qui n'est pas vraiment tombé mais qui a plutôt vaguement trébuché, des supérieurs condescendants, un faux Antéchrist, un chien des Enfers nommé Toutou, tout un tas d'humains, une foule de phénomèn...