Jour 7 : Il est interdit de blesser ou de tuer les joueurs

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Cela faisait une semaine que nous étions dans ce manoir, à présent. Je m'étais réveillé un quart d'heure avant la sonnerie, aussi somnolais-je encore un peu, les mains derrière la tête, les yeux fixés au plafond. Une semaine, trois morts. Et ce n'était pas près de s'arrêter. La Reine ne nous laisserait aucun moment de répit avant de nous avoir tous éliminés. Mon temps était compté, ce qui signifiait que je devais absolument trouver le parfait équilibre entre une recherche active de la Reine et une vigilance excessive. Je soupirai. Il était difficile de tenir le coup avec toute cette pression, mais ce n'était pas le moment de craquer.

Je pris nonchalamment la tablette sur ma table de chevet. La règle qui y était énoncée me fit frissonner. Ce devait être l'une des règles les plus importantes du jeu, alors pourquoi le Maître ne l'avait-il pas donné directement en début de partie ? Je déglutis avec peine, tandis que je ne voyais qu'une seule explication : quelqu'un avait envisagé cette option la veille ou ce matin-même, raison pour laquelle le Maître avait jugé nécessaire de nous afficher cette règle. Je reposai la tablette sur la table de chevet, soufflant à nouveau. J'avais déjà la Reine sur le dos, je n'avais ni le temps, ni l'envie de m'occuper d'un autre tueur en série.

Je repensai alors à mon altercation avec Jenny. Sans surprise, elle avait été folle de rage en apprenant la vérité. Et, dans un sens, je la comprenais. J'avais utilisé son meilleur ami tel un pion, ce qui était loin d'être moralement acceptable. Néanmoins, je n'étais pas le seul fautif dans l'histoire. Je n'avais jamais voulu sacrifier Mark, malgré ce qu'elle pouvait penser. Mon plan avait été de découvrir la Reine par l'intermédiaire de Mark et, une fois chose faite, d'aller moi-même confronter le joueur en question en me faisant passer pour le Voleur, afin de protéger l'identité de mon ami. Il m'aurait simplement suffi d'annoncer qu'il était mon allié, et de mentir en disant que j'avais échangé sa carte à chaque tour dans le but de paraître moins suspect, et que, chaque matin, il me révélait le rôle du joueur. J'aurais alors tenté de convaincre la Reine de m'épargner et d'accepter sa défaite sans faire de nouvelles victimes. Nous étions tout de même un groupe de très bons amis. J'étais persuadé qu'en choisissant les bons mots, j'aurais pu sauver tous les joueurs restants. Malheureusement, j'avais été loin de prévoir que Mark dévoilerait son identité au grand jour, suite à une querelle avec Jenny. Et pour quoi ? Une petite histoire d'amour pathétique. Cela ne devrait même plus m'étonner. C'était toujours l'amour qui gâchait tout.

Quoi qu'il en fût, le plan avait été voué à l'échec, donc il n'avait pas été plus mal que Mark confrontât lui-même la fausse Reine. J'aurais en effet eu plus de difficultés à découvrir la vérité à moi seul. Je n'étais toujours pas certain de l'innocence d'Alan, mais une émotion inexplicable au fond de moi refusait de croire qu'il avait menti. L'instinct, je présumais ? Je n'étais pas du genre à ne pas me laisser guider par un raisonnement implacable, mais j'allais faire une exception pour cette fois. Après tout, Alan était condamné. Je verrais bien le lendemain la vérité à son sujet. Je préférai ainsi me concentrer sur les autres joueurs pour la journée.

J'étais quelque peu déçu de ne plus avoir Jenny en tant qu'alliée. Elle s'était révélée fort utile depuis notre association, et je risquais de progresser bien plus lentement sans elle. Mais il valait mieux ne pas prendre de risques inutiles. Et, de toute manière, elle devait tellement être furieuse envers moi qu'elle m'ignorerait très certainement pendant un bon moment. J'avais toujours la possibilité de régler ce malentendu et de lui révéler tout le plan que j'avais concocté, mais il en était hors de question. Si je lui avais menti, ou plutôt caché la vérité dans le cas présent, c'était pour qu'elle évitât de culpabiliser durant le restant de ses jours. Je préférais la voir me haïr plutôt que se morfondre seule dans son coin. Mon cœur se serrait à chaque fois que je la voyais triste. Elle avait un magnifique sourire, si chaleureux et empli de vie, et je serais prêt à tuer quiconque le lui retirerait.

Queen of Cards (Version française)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant