Chapitre 9

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Il fait son apparition sur le balcon, sans sa guitare cette fois. Je lance un coup d'œil dans sa direction avant de reporter mon attention sur le livre que je tiens entre mes mains, mais Marc se dirige directement vers balustrade qui sépare nos deux balcons. Il s'y accoude, et je comprends qu'il n'est pas venu pour simplement profiter des rayons du soleil printanier. Cette perspective me rend mes joues un peu plus brûlantes.

Son chat saute à ses côtés, s'installant sur le petit muret que surplombe le cylindre de fer noir. Il commence sa toilette en se désintéressant de nous, mais je crois que ce petit animal aime beaucoup son humain. Je referme mon livre et me tourne vers lui en souriant.

- Vous êtes libraire ? demande-t-il en désignant le livre d'un mouvement de tête.

Je secoue la mienne en souriant.

- C'est vrai qu'on pourrait le croire, mais non ! Même si, quelque part, je participe bien à la vente des livres !

Sans comprendre, mon voisin fronce les sourcils. Je pose le bouquin sur la petite table en fer rose près de mon fauteuil en lui montrant la couverture. Il se penche un peu plus en avant pour la détailler. Du doigt, je pointe la petite inscription en bas au milieu.

- Je travaille pour cette maison d'édition, annoncé-je.

Il écarquille les yeux en les relevant vers moi.

- Vraiment ? Wouha ! Je me suis toujours demandé comment les livres passaient de l'ordinateur de l'auteur à la librairie !

Je ris doucement.

- C'est tout un processus très long, qui prend environ quatre mois. En tout cas, pour nous, c'est ça.

- Et vous gérez quelle partie ?

- Aucune ! En tout cas, pas en ce qui concerne la publication !

L'incrédulité que je lis sur ses traits me fait pouffer. Visiblement, il ne s'attendait pas à cette réponse. Je pose une main sur le livre et le fait tourner, cherchant un instant mes mots.

- Je travaille dans le service communication et événements. La trafic manager et moi partageons un même bureau. C'est ma collègue qui gère nos réseaux sociaux et le site internet. Pour ma part, je suis le relaie entre nos auteurs et la maison d'édition. Je communique régulièrement avec eux, organise les salons et les dédicaces dans les magasins, et je m'arrange avec nos fournisseurs et nos différents partenaires : les imprimeurs, les correcteurs...

Le regard impressionné que me lance Marc me fait rougir. Je sens mes joues me brûler. Pauline en aurait rit. Je n'ai aucun problème à parler avec tous mes interlocuteurs dans le cadre de mon travail, mais dès que l'on touche à ma vie personnelle, je deviens timide. Extrêmement timide. Et Marc a su me dérider, pour autant, avec sa guitare et ses doigts de fées.

- Et vous ? demandé-je avant qu'il ne puisse me poser plus de questions. Que faites-vous ?

Il baisse légèrement la tête en poussant un soupir. Son regard par en-dessous ne me dit rien qui vaille. Mon cœur rate un battement tandis que j'imagine de façon insensée que les histoires racontées avec ma famille sur lui sont véridiques.

- Vous promettez de ne pas rentrer chez vous en courant, Alison ? Il y a beaucoup de préjugés sur mon métier, et surtout beaucoup de haine.

Je commence vraiment à flipper, mais ne peux pas m'empêcher de hocher la tête en déglutissant.

- Je vous le promets...

Même si je n'y crois pas vraiment. Je m'attends au pire tandis que Marc redresse la tête vers moi.

- Je suis huissier de justice.

Mon estomac se contracte douloureusement tandis que des images me reviennent en mémoire. Avant que mes parents ne parviennent à se hisser jusqu'à la classe moyenne, nous avons connus plusieurs années difficiles qui ont mené à une saisie de certains de nos biens pour rembourser des dettes. Je secoue la tête pour chasser ces souvenirs, mais mon égarement n'a pas échapper à mon voisin qui pousse un soupir.

- Vous en avez déjà vu chez vous, pas vrai ?

Incapable de mentir, je hoche la tête. Un nouveau soupir lui échappe tandis qu'il baisse la tête.

- Je suis désolé...

- Ce n'est pas votre faute, murmuré-je.

Je reporte mon attention sur lui. Il semble vraiment désolé pour moi.

- Dites-moi, quelles autres missions avez-vous ?

J'ai besoin qu'il me confirme qu'il n'est pas juste ce vampire qui prend aux autres. Bien qu'une décision de justice l'y force, nous savons que le messager prend toujours pour l'émissaire. Il me fixe, surpris.

- Euh... Nous aidons à rédiger des actes sous seing privés, et nous occupons également de régler certains différends à l'amiable. Nous pouvons également constater des preuves, et mener des expertises juridiques. Nous menons des ventes aux enchères et représentons parfois des parties dans deux tribunaux.

Je hoche la tête en écoutant attentivement son énumération non exhaustive des missions qu'il peut être amené à remplir, essayant de me rassurer. La saisis n'est qu'une infime partie de son travail. Malheureusement, c'est la plus médiatisé et celle dont nous faisons les frais le plus souvent. Je me mords la lèvre inférieure.

- Vous savez, commencé-je, c'est vrai que votre profession ne m'est pas forcément amicale pour le peu que j'en connais...

Aussitôt, Marc baisse la tête.

- Mais je suis contente de pouvoir en parler avec vous... Vous êtes loin de l'image de l'homme hautain et mauvais qui est venu à l'époque pour prendre tous nos meubles... C'est bien d'avoir l'autre côté, aussi. Je suis adulte maintenant, je pense que je peux essayer de remettre en question mon point de vue sur la question.

Il me lance un regard reconnaissant tandis que je souris pour le rassurer. Je ne me suis jamais vraiment posée la question de ce que je ressentais pour les huissiers. Mais grâce à lui, je peux faire évoluer un peu ma pensée, et c'est plaisant. Mais une idée insidieuse vient se perdre dans mon esprit.

Si tu dois le présenter à tes parents, tu feras quoi ? Parce qu'eux ne seront pas aussi clément que toi...

Je chasse bien rapidement cette pensée idiote. Nous sommes encore loin de ça. J'esquisse un sourire pour Marc en me calant un peu mieux dans mon siège.

- J'ai l'habitude de venir lire ici, avoué-je, mais je ne vous ai jamais vu sur votre balcon avant le confinement. Vous êtes très occupés, non ?

- Oh oui... J'ai beaucoup de travail à l'étude, et il m'arrive souvent de jouer avec quelques amis le soir. Nous formons un petit groupe, ça nous détend.

Je souris.

- J'aimerais bien vous entendre, un jour.

- Ce sera dans un petit moment ! Avec le confinement, il nous faudra un peu de temps pour nous mettre tous au diapason.

Je pouffe doucement en échangeant avec lui un regard complice. J'ai l'intime conviction que Marc est un huissier plus juste que celui que j'ai pu connaître à l'époque, plus empathique et plus doux. Et quelque part, je suis contente d'en avoir parlé avec lui.

Le balcon d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant