Chapitre 8

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C'est notre grand soir. La soirée famille commence. Nous sommes tous connectés sur nos ordinateurs. Les webcams nous montrent, chacun de notre côté, avec notre famille. Nous sommes tous ensemble malgré la distance. Sa guitare à la main, Kentin attend que nous soyons tous attentifs pour commencer à jouer.

Mais mon père n'a pas fini de parler. Lui qui préfère se taire la plupart du temps, babille sur tout et n'importe quoi. Il parle des oiseaux qui se sont installés dans le nichoir du jardin, et du chat qui les surveille très attentivement. Il nous raconte les dernières mésaventure de Larsie, le golden retriever qu'ils ont adopté il y a peu. Ce petit chiot bien trop curieux pour sa propre santé semble vivre bien plus d'aventure qu'Indiana Jones.

Même ma mère n'ose pas le couper de peur qu'il se vexe. Après tout, pour une fois qu'il fait la conversation à lui tout seul, nous n'allons pas le couper. Alors nous sourions et rions, simplement heureux d'être tous ensemble même si nous ne pouvons pas nous serrer dans les bras.

- Et cet idiot de chien s'est retrouvé coincé dans le trou ! Il est carrément tombé dans le fond du cabanon ! Votre mère a dû aller le chercher !

- Et c'était toute aventure, soupire l'intéressée. Larsie était terrifié ! Il grognait sur moi jusqu'à ce qu'il me sente et comprenne que j'étais bien sa maîtresse !

Nous éclatons de rire. Ma mère balaye l'air de ses mains en se penchant vers l'écran.

- Mais nous parlons trop ! Je vois que Kentin a sa guitare, donc allons-y ! Chantons !

Sans se faire prier, mon frère commence à gratter les cordes avec dextérité. J'ai l'impression qu'il s'est bien entraîné ces derniers jours pour ne pas nous décevoir. En chœur, nous entamons les premières paroles. Rapidement, les souvenirs reviennent. La nostalgie s'empare de mon cœur tandis que je me revois, dans le salon, chanter avec mon père qui tient la guitare. Nous sommes tous réunis autour de lui...

Aujourd'hui, c'est Kentin qui joue, parce que notre père n'en est plus capable. Mais il a toujours sa voix, et celle-ci nous porte, nous corrige et nous guide. Chacun de notre côté, nous sourions en chantant. Je sais à ce moment que nous avons tous les mêmes pensées qui nous traversent, la même mélancolie face aux souvenirs de notre enfance qui remontent. Ces moments de joie dont nous n'avons pas assez profité sur l'instant.

Ce soir, nous savourons l'instant comme s'il était le dernier. Peut être que c'est le cas, mais nous n'aurons aucun regret. Ce confinement nous aura permis de nous rapprocher et de nous connecter bien plus que lorsque nous travaillons. Pour une fois, nous prenons le temps d'utiliser les technologies pour véritablement parler et nous rapprocher, pas nous éloigner comme elles ont l'habitude d'être utilisées.

Nous chantons, tous ensemble. Même les enfants de mon frère s'y essaient dans un anglais plus qu'approximatif. Et cela nous fait rire.

***

« Le Parrain » est un film qui dure peu ou prou trois heures. Il est bien, mais, alanguie sur mon canapé, je sens que je m'endors. Et si j'en crois les caméras qui montrent ma famille, je ne suis pas la seule. Aurélien est déjà blotti dans les bras de Morphée, et la femme de Kentin n'a pas fait long-feu non plus. Il ne reste plus que mon frère aîné et mes parents qui résistent envers et contre tout.

- Et toi, Alison, comment se passe le confinement ? demande ma mère.

Nous avons vu ce film tant de fois que nous en connaissons les moindres répliques par cœur. Ces soirées familles sont plutôt l'occasion de parler pour de vrai. Je hausse les épaules en esquissant un sourire.

- J'ai rencontré mon voisin, sur le balcon d'à côté ?

- Oooooh... Il est comment ?

- Maman !

- Quoi ?

Son air innocent me fait rire. Je secoue la tête en faisant mine de réfléchir.

- Et bien, il est gentil, drôle et assez cultivé...

- Mais ça, on s'en fiche ma chérie ! Je veux savoir s'il est beau !

J'éclate de rire, franchement, tandis que mon frère Kentin se renfrogne.

- Non, mais Maman, il n'y a pas que la beauté dans la vie ! s'exclame-t-il.

- Tu dis ça parce que tu es moche !

- Maman !

Scandalisé, il secoue la tête et croise les bras.

- Je tiens ça de toi, marmonne-t-il.

Bien loin de se vexer, notre mère pouffe. Elle reporte alors son attention sur moi, bien décidée à obtenir toutes les informations qu'elle veut. Si j'ai rencontré le prince charmant, il faut encore que mes parents le valident. On peut être adulte, nos parents continueront de nous considérer comme des enfants.

- Alors ?

Je roule des yeux.

- Oui, Maman, il est beau ! Il est grand, il a de longs cheveux noirs, et des yeux sombres.

- Ah, je l'imagine déjà...

Elle laisse échapper un soupir rêveur qui m'arrache un sourire. Si seulement elle le voyait en vrai, elle se rendrait compte que ma description ne lui rend pas justice. Marc est beaucoup plus beau que tout ce que je pourrais en dire. Nos auteurs parviendraient bien mieux que moi à lui rendre hommage avec une description.

- Et il a un chat. Une boule de poil marron qui a une cicatrice sur le museau.

- Dis donc, ton voisin serait-il un bad boy ?

- Je ne sais pas, mais je pense qu'à la fin du confinement, je ne le verrais plus beaucoup...

Et cette idée me fait mal au ventre. Je secoue la tête pour la chasser, mais maintenant que je l'ai formulé, c'est impossible de me la sortir de là. Elle reste bien ancrée dans mon esprit.

- Pourquoi ? s'étonne Kentin.

- J'ai l'habitude de lire sur mon balcon quand il fait beau, et je ne l'ai jamais vu jusqu'à ce que le confinement soit décrété. Il doit avoir un travail très prenant d'ordinaire...

Ma mère hoche la tête tandis que mon frère hausse les épaules.

- C'est sûrement un tueur à gage.

Je ne peux pas m'empêcher de glousser.

- Ouh, imagine un peu ! J'ai l'occasion de vivre la même histoire d'amour que les héroïnes des romans qu'on édite !

Une moue rêveuse sur le visage, je laisse mon regard dériver tandis que Kentin grimace d'un air peu convaincu. Ma mère rit en secouant la tête.

- Tout ce qui compte, c'est que tu sois heureuse, pas vrai ?

- Oui, renchérit mon grand frère, et on viendra identifier ton corps à la morgue dès que ses ennemis t'auront abattu.

Nous rions de concert, complices. La conversation sur mon voisin se termine là, mais je sais que je n'ai pas fini d'en entendre parler. Et quelque part, j'ai hâte qu'ils me donnent leurs conseils. Comment puis-je garder le contact lorsque le confinement sera terminé et que cette bulle de bien-être éclatera lorsqu'il retourna à sa vie ?

Le balcon d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant