Chapitre 6

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Je suis sur la fin de mon livre. J'arrive sur les dernières pages où les protagonistes se livrent à un combat haletant. C'est la dernière ligne droite, la dernière bataille pour leur survie, et je ne sais pas s'ils vont s'en sortir. L'auteure a cette manie de toujours nous surprendre. Avec elle, difficile de compter sur une fin véritablement heureuse. Les actions ont des conséquences, toujours.

Je tourne une page lorsque mon voisin surgit sur le balcon dans le seul but de me voir, vraisemblablement. J'écarquille les yeux face à son accoutrement. On dirait que quelqu'un s'est mit à la cuisine sans vraiment savoir ce qu'il faisait. Ses cheveux noirs attachés en chignon sont clairsemé de blanc. Sucre ou farine ?

Le tablier qu'il porte est tâché à plusieurs endroits, et je ne peux pas m'empêcher de sourire en voyant sa peau hâlée couverte de nourriture. Je l'observe, moqueuse. Marc semble être le genre de personne pleine d'auto-dérision qui accepte qu'on se moque un peu d'elle.

- Vous êtes tombés dans une marmite ? questionné-je.

L'homme sourit largement en secouant la tête.

- Si seulement j'avais pu m'y noyer ! J'essaye de faire des cookies... Ai-je besoin de préciser que je ne suis pas très doué pour ça ?

Je ris en haussant les épaules.

- Je vous assure que vous ressemblez à un vrai chef !

- Merci pour ce délicat mensonge !

Complices, nous pouffons, jusqu'à ce que Marc se reprenne en souriant.

- Le chef cuisinier a simplement oublié de vérifier qu'il avait tous les ingrédients avant de se lancer...

J'écarquille les yeux en pinçant les lèvres pour ne pas rire. Je crois que cet homme ne cessera de me surprendre. Alors que je suis le genre de personne qui va tout prévoir dans les moindres détails, lui se laisse porter par ses envies, sans se soucier d'être vraiment prêt.

- Que vous manque-t-il ?

- Un œuf.

- C'est tout ?

Penaud, mon voisin hoche la tête, me faisait éclater de rire. Il ne lui manque que ça. En nous entendant, son chat surgit sur le balcon. L'animal s'étire en baillant avant de s'enrouler autour des jambes de son maître. Je referme mon livre et me lève.

- Je vais vous en chercher un...

- Soyez béni !

- Mais seulement si vous m'offrez un cookie par la suite !

Il lève les yeux au ciel comme si mes propos relevaient d'une évidence. Sans attendre plus longtemps, je m'engouffre dans mon appartement pour gagner mon petit coin de cuisine ouverte. La crème anglaise ouverte embaume mon frigo lorsque j'ouvre la porte. Je me contente de prendre la boîte d'œufs pour l'emmener dehors.

Marc attend au soleil. Les mains sur les hanches, il tourne en rond dans son petit carré de balcon. Je l'observe avec un peu plus d'attention, profitant qu'il ne m'ait pas encore remarquée pour le faire. Pauline a raison : ce n'est pas compliqué d'être plus grand que moi. Cependant, Marc l'est vraiment. Il n'a pas vraiment de muscle, mais pas de graisse superflue, contrairement à moi.

Le yoga ne fait pas tout quand on est aussi gourmande que je le suis. Je m'annonce. Marc se tourne vers moi avec un grand sourire. Je pose la boîte sur la petite table en ferraille près de mon fauteuil et l'ouvre.

- Lequel voulez-vous ?L'homme s'approche du rebord. Il se penche par-dessus la balustrade et observe la douzaine d'œufs avec un intérêt feint. Pendant plusieurs seconde, il ne dit rien. Je souris en le regardant faire. Il finit par en pointer un du doigt.

- Celui-là.

Je m'en saisi.

- Vous êtes sûr ?

- Certain ! Avec lui, mes cookies seront les meilleurs de la Terre !

J'éclate de rire en me mettant en position. Marc retrouve son sérieux, et je l'imite. C'est le moment où je ne dois pas le faire exploser sur le sol. J'expire tout l'air dans mes poumons et arme mon bras. Sur le balcon d'à côté, le voisin se prépare à recevoir la fragile denrée. Il recule légèrement un pied et tend les mains.

Doucement, je lance l'œuf par en bas. Il décrit une courbe parfaite au-dessus de ma balustrade, passe magistralement au-dessus de celle du voisin, et continue sa course. Visiblement, j'y aies mis un peu trop de force... Je me mords la lèvre inférieure en voyant Marc reculer, les yeux rivés sur le projectile qui tournoie dans les airs.

Heureusement qu'aucun poussin ne dort dedans. Mon cœur bat de plus en plus vite à mesure que l'ingrédient reste en l'air. Mon voisin saute. Ses doigts se referment sur la denrée, m'arrachant un soupir de soulagement. Ses deux pieds heurtent le sol sale de son balcon. Un sourire illumine son visage.

- Dis donc, je n'avais pas besoin de faire de sport ! s'exclame-t-il.

Mes joues me brûlent tandis que je ris. Mars fait tourner l'œuf entre ses doigts avant de me le montrer.

- Merci beaucoup ! J'essaierai de vous lancer le cookie avec autant de force !

Il ne me laisse même pas le temps de rire et rentre dans son appartement pour terminer sa recette. Je reste un instant à observer son chat, avant de me détourner pour ranger mes œufs et enfin terminer mon roman.

Le balcon d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant