Chapitre 10

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C'est la galère.

La grosse tuile.

La pire chose qui puisse m'arriver.

Mais de toute façon, ça me pendait au nez. Je le voyais venir à des kilomètres à la ronde, et même Pauline en riait au téléphone. Il n'y avait que moi pour ne pas le voir. Ou plutôt, pour volontairement l'occulter par peur de ce que cela pourrait me faire.

Mais c'est arrivé, et je ne peux pas y échapper.Je suis tombée amoureuse de mon voisin. Et mes parents me tueraient s'ils apprenaient que c'était un huissier de justice. Mais ce n'est pas ça qui m'inquiète. Il s'agit plutôt de mes propres sentiments qui m'effraient. Cette sensation que je suis plus vulnérable que jamais, comme si une partie de moi ne m'appartenait plus vraiment.

J'ai déjà du mal avec ma version complète, comment puis-je m'en sortir si je suis amputée ? Et pire que tout, comment lui annoncer ? Je ne suis pas une grande adepte des déclarations romantiques. Ce sont aux autres de venir vers moi, pas l'inverse.

J'ai toujours été la fille qui regarde son grand amour partir avec une autre parce qu'elle a été incapable de lui avouer ses sentiments. Mais je n'ai pas envie que cela m'arrive avec Marc.Il est gentil, drôle, charmant et il joue de la guitare. Et puis, il est beau. Il est mince, élancé, et ses cheveux longs lui donnent un air de rockeur qui n'est pas déplaisant. Alors que moi... Je secoue la tête. Ce qui m'effraie vraiment, ce n'est pas tant le fait qu'il me repousse pour mes avances, mais plutôt qu'il les accepte. Je ne sais pas ce que je suis censée faire s'il ressent la même chose pour moi.

Et je tourne en rond dans mon appartement, sans parvenir à me décider à sortir sur le balcon. Pourtant, je l'entends. Marc est bien là. Il joue de la guitare, gratte tranquillement sans se décider à jouer une véritable mélodie. Que suis-je censée faire ? J'ai le cœur qui bat à tout rompre et une énorme boule dans la gorge. Je n'ai absolument aucune idée de ce que je dois faire.D'ordinaire, c'est assez simple. Nous parlons, nous rions, sans que j'ai besoin de réfléchir plus longtemps. Il me met à l'aise, et ça devrait être ça le plus important, mais je sais que je ne le serais pas, là. Et je décide que... tant pis. Je prends mon livre pour me donner contenance, imiter un après-midi normal, et ouvre la baie-vitrée.

Aussitôt, les notes me parviennent, et je vois mon voisin esquisser un sourire en tournant la tête dans ma direction. Mon estomac se contracte. Je tente de lui renvoyer son sourire, mais j'ai l'impression de grimacer. Si c'est le cas, il n'en montre rien.

- Bien le bonjour ! s'exclame-t-il.

- Vous semblez en forme ! remarqué-je.

Il hoche vigoureusement la tête en s'appuyant sur son instrument, cessant par la même occasion d'en jouer. Je m'installe dans le seul et unique fauteuil que j'ai été disposée à mettre sur ce balcon et pose le livre sur ma table en ferraille.

- J'ai passé une nuit formidable ! Pour une fois, ce fichu chat ne m'a pas réveillé en me sautant dessus ou en me miaulant à la tronche qu'il avait faim !

D'un geste, il désigne l'animal lové à ses pieds qui a l'air de l'aimer tellement qu'il ne peut pas s'empêcher de le réveiller. Je ris en voyant la boule poil marron bâiller comme si de rien n'était. J'ai toujours trouvé fascinante la façon dont les chats semblent se moquer de tout, mais sont en vérité aussi fidèle à leur propriétaire que peuvent l'êtres les chiens. Mais Marc n'a pas fini de parler et il continue sur sa lancé avec enthousiasme :

- En plus, avec l'annonce de la fin du confinement, je dois vous avouer que je ne suis pas peu ravie ! J'ai hâte de pouvoir enfin sortir !

- Oh, d'ailleurs...

Non, mais qu'est-ce que je suis en train de faire là ? Je n'ai pas le temps de finir de penser que les mots m'échappent :

- Quand ce sera fini, ça vous dirait qu'on aille boire un verre ensemble ?

Mon estomac est si tordu qu'il m'en fait mal. J'ai l'impression que mes intestins sont noués alors que mon cœur a foutu le camp pour ne pas voir la catastrophe arriver. Il ne reste que mon cerveau, le capitaine, le dernier à rester sur le bateau qui essaye de mener la barre comme il peut sans trop savoir s'il craint plus le rejet ou l'acceptation.

Le balcon d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant