6) Projection

212 36 44
                                    

Kuroo, jusque-là plongé dans ses souvenirs récents, fit cette fois-ci attention à l'expression qu'affichait Kenma. Ce dernier, attentif tout au long des explications qui lui avaient été fournies, voyait ses frêles mains plongées dans les poches de son sweatshirt. Aucun son ne sortit de sa bouche les premières secondes. Il réfléchissait, méditant au sens des paroles que son ami d'enfance venait de lui raconter.

Quand il était embarrassé, Kuroo esquivait et déviait la conversation par un petit rire gêné, puis passait rapidement à autre chose en rigolant d'une situation qui lui semblait être facilement à portée de main. Mais là, il s'était réellement confié, ne dénaturant aucunement ce qu'il avait pu ressentir. C'était chose rare chez lui ; malgré les apparences, il était du genre réservé quand aux marques d'émotions plus intimes.

C'est pourquoi, avec une certaine appréhension, il attendait que Kenma prenne enfin la parole. Son silence avait beau avoir débuté depuis quelques secondes seulement, celui-ci lui sembla bien imposant. C'était certes un mauvais moment à passer, mais il faisait entièrement confiance au décoloré. Néanmoins, quand il vit que Kenma daigna enfin amorcer une action quelconque - à savoir sortir sa main droite de sa poche, qu'il utilisa comme appui pour maintenir sa lourde tête esquintée, ainsi que rediriger ses yeux, jusqu'ici sondant son regard, en direction de la fenêtre - , il frémit. Kenma s'adressait souvent aux autres avec le regard dévié. Il savait donc que ce dernier allait enfin prendre la parole et ce, de manière plus ou moins sérieuse. Cela se confirma quand il poussa un léger soupir, ses lèvres s'entrouvrant pour entériner ses doutes. Cependant, Kuroo n'amorça aucun geste, et ne dévia pas non plus la conversation à l'aide d'une boutade.

- Quand je te disais que tu devais aimer les langues de vipère, je ne pensais pas viser autant juste.

Kuroo avala de travers sa salive. Finalement, peut-être aurait-il dû détendre l'atmosphère à l'aide d'un mot d'esprit.

- Oï, on ne s'est pas non plus roulé un patin ! Je t'ai parlé d'un câlin, pas d'une galoche !

- Qui dit encore ça sérieux ? Enfin bref, tu te compliques la vie.

Kuroo était légèrement déboussolé de l'attitude désinvolte de Kenma. Il savait pertinemment qu'il était du genre détaché pour ce genre d'affaires, mais à ce point, ça le troublait. Aurait-il été un moine dérangé par l'évolution de la société humaine dans une vie antérieure ?

- Je vais pas faire genre que je l'avais vu venir, parce que pour une fois franchement pas, mais entre nous, ça fait bien longtemps que j'avais compris que vous ne vous détestiez pas autant que ce que vous le prétendiez. Et arrête avec cette expression faussement heurtée, tu m'épuises davantage que ce que je ne le suis déjà.

Kuroo songea fortement que la fatigue qu'il ressentait ne pouvait vraisemblablement provenir d'une autre cause que ses nuits presque blanches à cause des écrans. Sérieusement, quel gâchis. Enfin, là n'était pas le sujet, et il le savait fort bien. Ils étaient là pour parler de Daishou, pas de Kenma. Et de lui-même surtout, ce qui n'entraînait pas une perspective des plus réjouissantes.

- Kenma, je le connais même pas tant que ça ! Enfin bien sûr, pas littéralement... Je le connais depuis mioche et d'ailleurs, il était plutôt timide à cette époque, il faisait bien moins le fier qu'actuellement ! Mais je ne connais rien de sa vie privée, de ses goûts, de ses passions ! Quand on se croise, il arrête pas de me chercher des noises,  on passe notre temps à se moquer ouvertement l'un de l'autre, on se croise même pas toutes les deux semaines, on n'avait pas encore nos numéros de téléphone avant hier soir, et... et je sais pas, il manque une partie non ? Je sais pas mo-

- Kuroo, tu vas encore arriver à nous faire une crisme d'asthme sans en avoir. C'est pas toi qui répètes sans cesse  à mon plus grand désarroi " On est le sang, on s'écoule sans répit, et on fait circuler l'oxygène pour que le cerveau puisse bien fonctionner " ? Et bien pour une fois que j'ai un semblant de foi en cette charte, applique-là. Ton cerveau est en train de surchauffer.

Don't death on my parade [KuroShou]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant