CHAPITRE 9

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M

ERCIE
3 mois plus tard
– Bon, tu te décides Sista ? Je suis sur un gros projet, j’ai du boulot par-dessus la tête, je perds un temps fou à essayer de te convaincre.
Pffff, James insiste pour que je vienne leur rendre visite ce week-end mais je n’en ai aucune envie. Je sais déjà ce qui m’attend et je suis épuisée à l’avance. Ah oui, je sais pas si je vous ai bien expliqué mais en vrai je suis verbicruciste et cette semaine a été particulièrement rude car nous préparons le hors-série été du journal The Scotsman dans lequel je travaille. Là, je vous ai perdu, je le sens. Une verbicruciste est une conceptrice de mots croisés donc je me casse la tête pour que des gens se casse la leur à trouver une page de jeux dans leur quotidien favori. Et pour être honnête j’adore mon job.
– Je ne peux pas, moi aussi je suis débordée de boulot.
Je sais déjà qu’il va remballer mon excuse bidon avec une remarque que je connais par cœur mais tant pis, je suis à cours d’argument. Et Tina ne va pas tarder à passer me chercher pour aller au marché.
– Bien sûr et explique moi en quoi tu ne peux pas réfléchir à la nouvelle grille depuis un train qui te fera passer le meilleur week-end de ta vie avec ton frère chéri adoré.
Coincée !
– Jamsi !
– Sista !
– Bon, je te rappelle, Tina est là.
– Dis oui et on passe à autre chose. Allez, stp.
Il m’agace mais je ne peux rien lui refuser, je sais déjà que c’est perdu d’avance.
– Mais pourquoi est-ce que t’es aussi lourd ?
Silence gênant dans le combiné. Il ne me dit pas tout et je le sais.
– Parce que j’ai besoin de toi ce week-end.
Mon frère ne demande jamais d’aide. Il est du genre solitaire et autosuffisant. Contrairement à moi qui ai besoin d’être rassurée en permanence. Alors je n’aime pas trop ce que j’entends.
– Et pourquoi ?
Il souffle dans le combiné mais il va cracher le morceau. Je sais qu’il me cache un truc.
– Parce que Nora veut qu’on sorte et que je n’ai pas envie de me retrouver seul avec elle et les autres. Tu sais que je déteste ce genre de trucs.
– Invite Lewis.
– Non elle dit qu’il est chiant à mourir.
Là je ris. Lewis n’est pas chiant, Lewis est plus du genre singulier mais attachant. Pour être honnête on voit plus rapidement le côté singulier que le côté attachant mais c’est comme s’il faisait partie de la famille.
– Tina serait d’accord avec elle.
Il grogne.
– Bon, tu viens ?
– Evidemment que je viens. Mais c’est toi qui paie le resto, je te préviens.
– Avec plaisir. Allez, je te laisse. A dans deux jours !
Je raccroche un sourire aux lèvres parce que je suis quand même plus que ravie de passer du temps avec James que je n’ai que peu vu depuis son mariage. Il est parti en voyage de noce et a retrouvé la folie de sa vie londonienne alors que moi je suis retournée à North Ballachulish, petite ville paumée d’Ecosse dans laquelle je vis retranchée puisque je bosse à distance pour mon journal. J’aime le calme de ma vie et avec la présence de Tina à mes côtés qui tient la meilleure pâtisserie du monde, je survivrais à tout. Au début quand nous sommes arrivées ici après notre enfance à Inverness, j’ai cru qu’elle n’allait pas s’y habituer et puis le calme de cette petite ville pleine de charme a fini par la convaincre d’y rester. Quant à moi, après avoir vécu des épreuves douloureuses, j’ai cherché volontairement à me couper du monde. Moins je voyais de personne, mieux je me portais. J’ai d’ailleurs choisi mon métier en fonction de ce critère, je voulais pouvoir me terrer chez moi en pyjama toute la journée si je le souhaitais. Et c’est d’ailleurs ce que je compte bien faire dès que j’aurais accompagné Tina au marché pour nos courses hebdomadaires. Elle ferme son magasin pour profiter de ce moment avec moi tous les mercredis matin.
D’ailleurs la voilà qui klaxonne avec son vélo. Je ferme la grosse porte de mon cottage, constate une fois de plus que la serrure grince, me rappelle que je vais devoir faire un gros ménage sur les herbes folles qui parsèment mon jardin avant d’être envahie et empoigne ma bicyclette en fourrant mon sac à main dans le panier situé devant le guidon.
– C’est toujours la forêt vierge ici. J’espère que ta forêt ne ressemble pas à ça sinon t’es pas prête de baiser à nouveau !
Voilà, ça c’est la première amabilité d’une longue série, je le sens.
– J’en connais une qui n’a pas sauté son petit dej, t’es en forme.
Elle s’étire comme un chat qui viendrait d’avaler un moineau et son regard est libidineux à souhait.
– Tu ne crois pas si bien dire.
Ok, donc elle a couché avec un mec.
– Tu fricotes encore avec Stu ?
Elle roule des yeux et démarre. Je la suis me cramponnant au guidon de mon vieux vélo pour ne pas tomber. Il faut dire que le chemin jusqu’à chez moi n’est pas vraiment praticable ; il faudrait aussi que je m’en occupe. Mais bon…
– Alors d’abord personne n’utilise plus le mot fricoter depuis 1916 et en plus tu sais bien que Stu est de l’histoire ancienne depuis un moment.
– Euh, je t’assure que ce mot fait encore partie de notre langue. Et je sais de quoi je parle. Quant à ce pauvre Stu, depuis quand est-il devenu obsolète ?
– Depuis au moins 6 jours. Tu peux suivre s’il te plait ?
Elle est drôle et elle ne s’en rend même pas compte. Ce qui est encore mieux. Tina est très en forme ce matin, elle est bien maquillée et a sorti sa veste k-way à fleurs. Je l’observe pédaler et je remarque vite quelques petits détails. Cheveux bien coiffés, assistance électrique au maximum, rouge à lèvres bien étalé. Merde, je me suis faite avoir comme une bleue. Parce que quand elle sort son joli manteau, son maquillage et qu’elle ne pédale pas, c’est qu’elle ne veut pas transpirer et donc qu’elle a un rencard qui pourrait se terminer sous la couette.
– T’as rendez-vous avec qui ?
Je ne lui laisse pas le temps de me répondre pour la mettre en garde.
– Je te préviens, si tu me demandes de chaperonner, je pars à toute vitesse et tu ne me reverras pas avant une semaine. La dernière fois, tu m’…
– Oh arrête avec ça. Si je ne te forçais pas à sortir de temps en temps, tu deviendrais une de ces vieilles femmes qui finissent dévorées par leurs chats. Et puis le mec n’était pas si mal après tout.
Alors là, elle exagère vraiment. Même si le coté ermite est très vrai.
– Pas si mal ? Non mais t’as un Alzheimer précoce ou quoi ? Ce type était, en plus de sentir mauvais et d’être franchement crade, misogyne, anarchiste et à la limite du racisme. Et quand je te dis limite, c’est juste parce que j’ai préféré ne pas creuser.
– Oui, oui, admettons.
La place du village est pleine à craquer et nous sommes obligées de garer nos vélos devant l’école primaire. Cet attroupement me donne envie de faire le chemin inverse le plus vite possible. Mais le regard noir de mon amie m’en dissuade. Je ne suis pas agoraphobe mais je n’aime pas particulièrement fréquenter les gens en groupe. Seul à seul, oui mais l’effet troupeau de mouton me paralyse. Et là, bingo, on est pile poil dans un rassemblement de bovidés. C’est bien ma chance tiens.
– Il était aussi très intéressé par ton boulot et ça, c’est une qualité. Tu fais le job le plus chiant de la terre quand même.
– Arrête, j’aime mon travail et c’est normal que les gens s’y intéressent.
– La seule chose qui intéresse ceux qui font semblant de s’y intéresser, c’est ta petite culotte. Rien d’autre. Ce que tu peux être nouille parfois. Dis moi, ça remonte à quand la dernière fois où tu as discuté de ton travail avec une des filles du club de lecture ?
Je ne vois vraiment pas le rapport. Mais j’attache mon vélo alors que Tina se contente de le poser. Il faut dire qu’on ne craint pas trop les vols par ici. Pourtant je reste prudente. Il y a pas mal d’étranger au village ce matin. Et une odeur pestilentielle se dégage de la foule. Ouais le coprolithe de bovidés, c’est pas génial, surtout en grande quantité.
– T’embête pas à réfléchir, la réponse est JAMAIS. Parce que ces nanas n’essaient pas de te mettre dans leur lit. Elles n’ont donc aucune raison de tenter de comprendre pourquoi tu fais ce que tu es la seule à faire dans tout le pays.
Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec mon boulot ce matin ?
– Je ne suis pas la seule. Nous sommes 3.
– Tu parles d’une vocation !
Tina vient me prendre la main et nous dirige vers les stands de nos producteurs habituels. Et je commence à choisir mes fruits quand elle se penche vers moi.
– Ne sois pas surprise, il vient vers nous.
Je chuchote pour l’imiter et me rapproche encore plus de son visage.
– Qui ?
– Ben le mec avec qui on a rencard.
Je le savais. Je lève les yeux au ciel.
– Je te préviens, je fais mes courses, je passe à la pharmacie et je rentre. T’as pas besoin de moi pour ça.
– Si, si. Je lui ai parlé de toi, il voudrait te voir.
– Moi ? Mais qu’est-ce que tu lui as raconté ?
Elle sourit et me fait signe de me taire. Je sens que je ne vais pas du tout aimer ce qui va suivre. Je me concentre sur mes pommes et je les sélectionne avec attention quand une main vient caresser mon épaule.
– Mercie, comme je suis heureux de te revoir.
Même pas le temps de réfléchir que je me retrouve enserrée par de gros bras. Ce n’est que lorsque cet homme relâche sa prise sur mes épaules que je réalise que c’est un des frères de Nora.
G. E. N. I. A. L.
Tina le serre dans ses bras et commence à jacasser avec un autre mec qui porte le même accoutrement que le Men In Kilt N ° 3. Ils sont tous les deux en tenue écossaise traditionnelle. Kilt et blason sur liquette crème et béret aux couleurs de leur tenue. Ils sont beaux mais ça fait bizarre de les voir habillés comme ça. Même si nous sommes dans l’écosse profonde, plus personne ne s’habille encore comme ça. Surtout à leur âge. Une seconde je flippe en épiant les alentours à la recherche du reste de son clan parce que cette fois-ci, James ne me sauvera pas.
– Je suis tout seul avec Bryan, on est venu vendre nos bestiaux.
Il me désigne du doigt un troupeau de 6 shetlands tout petits.
– Oh qu’ils sont mignons.
Je m’approche de ces bébés moutons qui vont malheureusement finir dans un ragout ou en haggis et les caresse. Tous me sautent dessus. Ils ne sont pas sauvages du tout.
– Ouais je les aime bien. Mais que veux-tu ? Business is business.
Me souvenant très bien que leur clan est très secret je m’empresse de lui répondre tout en me relevant.
– Oh mais ça ne me regarde pas. J’ai été ravie de te revoir,…
Oups, je ne me souviens plus de son prénom.
– Neil.
Il me sourit et je me souviens alors que c’était le plus sympa de tous. Remarque, pas difficile vu que les autres étaient carrément flippants.
– Oui, je te souhaite un bon retour chez toi Neil.
Je tends la main pour récupérer mon sac de provision. A priori mon producteur a compris que j’étais perturbé et a rempli mon panier sans que je le lui demande. Je lui donne son argent et salue Tina d’un geste de la main.
Neil ne l’entend pas de cette oreille et me suit.
– Tu habites donc dans le coin. C’est fou, j’étais persuadé que tu vivais à Londres avec Nora et ton frère.
– Non, je n’aime pas les grandes villes.
Il semble surpris.
– Pourquoi ? C’est chouette l’animation. Si tu savais ce que je me fais chier chez nous.
Je suis obligée de reconnaître qu’il est plutôt gentil et son sourire a l’air sincère.
– J’aime le calme et je suis plutôt du genre à fuir la cohue.
– Jolie comme tu es, je me doute que tu dois te faire harceler en effet.
Le simple fait d’entendre ce mot me fait paniquer. Et je sens à nouveau ma vue se brouiller.
– Excuse-moi Neil, je dois vraiment y aller.
Je le plante là presque en courant et lorsque j’arrive enfin à déverrouiller mon cadenas de vélo, je m’aperçois que mes mains tremblent. A mon tour de faire appel à l’assistance électrique de mon vélo pour rentrer le plus vite possible chez moi.
Quand j’arrive dans mon allée toute cabossée, j’en suis à me remémorer tout ce qui me détend quand je revis de mauvais souvenirs. Et je me focalise sur James, mon grand frère qui a toujours été là dans les moments difficiles. Tout à coup l’idée de passer le week-end à Londres avec lui me semble presque réconfortante.

A Scottish Wedding Disaster ( Sous Contrat D'edition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant