Ne m'oublie pas

Chapitre 7

- Va prendre la commande à la table 6, me demande Gloria.
Je prends mon petit calepin et m'approche de la table. Un couple de personnes âgées est installé, discutant bruyamment.
- Bonjour, qu'est ce que je vous sers ?
Le couple me regarde étrangement, comme si je venais d'une autre planète. J'ai mal prononcé quelque chose ?
- Vous êtes en Espagne ici mademoiselle, m'informe la femme. En Espagne, on parle espagnol.
- J'ai parlé en français ? m'étonné-je. Je suis désolée... Qu'est-ce que je vous sers ? dis-je en espagnol cette fois.
Et c'est toute la soirée comme ça... Je ne sais pas ce qui m'arrive, je fais tout de travers; je parle français au lieu de parler d'espagnol, je me trompe de table, j'ai même cassé un verre et manqué de renverser un plat en sauce sur un client. Ce dernier m'a lancé un regard noir. J'en suis presque traumatisée.
- Dis-donc Krystell, qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? s'inquiète Alberto. Tous les clients dont tu t'es occupée se sont plaints de ton incompétence. Tu nous a pourtant prouvé que tu étais à la hauteur.
- Je suis désolée, je ne me sens pas très bien aujourd'hui. Je manque de sommeil.
Alberto et Gloria me regardent d'un air désolé.
- Il va tout de même falloir que tu te ressaisisses, me booste Gloria. Nous pouvons encore changer d'avis sur le fait de te garder ou non. Nous avons une clientèle fidèle et nous ne sommes pas prêts à la perdre, alors tu vas devoir surmonter ton sommeil.
- Oui Gloria. Je vais faire des efforts.
Puis je quitte le bar. J'ai menti, ce n'est pas une question de sommeil. Je suis vraiment tourmentée par ma relation avec Pablo. En arrivant ici, je me suis promis de ne pas m'attacher à qui que ce soit. Seulement, en m'adressant à Pablo le premier jour, je n'avais pas prévu notre histoire. D'un côté, je ne me vois pas lui dire que je ne veux pas continuer parce que je tiens vraiment à lui et je n'ai pas envie de lui faire du mal. Mais d'un autre côté, je sais que lorsqu'on devra se quitter, je serai brisée et inconsolable. Et je ne veux pas souffrir, j'ai déjà trop souffert depuis mon enfance.
Le lendemain matin, je me réveille bizarrement en pleine forme; pourtant, mon réveil n'a pas encore sonné. Je me penche et tends mon bras vers mon téléphone: 10h38.
Putain de merde mon réveil n'a pas sonné !
Je bondis sur mes pieds et enfile des vêtements propres. Tant pis pour la douche, pas le temps !
C'est seulement à l'intérieur du bus que je découvre trois appels manqués de la part des filles et une vingtaines de messages non lus. Mais qu'est-ce qui m'arrive !
Arrivée au campus, je me dirige vers la cafétéria. J'ai raté mes trois cours du matin, génial !
- Qu'est-ce qui t'est arrivée ? me demande Maria.
- Faut arrêter de sortir le soir hein ! rit Julia.
- Laissez-la tranquille, c'est sérieux ! les gronde Laura. Regardez la, elle a les yeux rouges et des cernes noires.
- Merci Laura...
J'hésite à leur dire la vérité. Je ne leur ai toujours pas dis que j'avais rencontré Pablo et j'aurai vraiment besoin de conseils en ce moment. Toutefois, je ne pense pas que Pablo apprécierait que je leur parle de lui sans son accord. Et puis, je ne pense pas que ce soit une bonne idée ; après tout, je ne les connais pas vraiment, elles pourraient très bien me jalouser et se retourner contre moi. Combien de fois on m'a fait le coup !
Justement, Maria est entrain de nous faire un discours sur ce qu'elle attend du nouvel album de son idole, car oui, elle l'idolâtre complètement. Et ça, c'est une des raisons pour lesquelles je préfère ne pas leur en parler. Maria voudra sûrement s'imposer et marquer son territoire. Elle voudra le rencontrer, et essayer d'attirer son attention. Or, je ne veux pas de ça, ni pour lui ni pour moi.
- Je vous jure, si un jour j'ai la chance de le rencontrer je serai la fille la plus heureuse du monde ! déclare Maria. Il est tellement beau, tellement sexy ! Je donnerai n'importe quoi pour passer la nuit avec lui, rit-elle.
Les filles se lancent un regard désespéré. Moi, je suis très mal à l'aise maintenant. J'attendais ce voyage avec impatience, là, j'ai juste envie qu'il se termine...
- Tu veux prendre l'air Krystell ? me demande Laura.
Je hoche la tête. Laura se lève et fait signe aux filles de rester là. Je la suis à l'extérieur du campus. Elle me regarde avec inquiétude. Elle a l'air tellement sincère, et tellement digne de confiance ! Mais je ne peux pas lui en parler, je ne peux pas.
- Tu peux me faire confiance tu sais, si tu as besoin de parler, je t'écoute. Ça me fait mal de te voir comme ça, sans savoir ce qui t'arrive.
- Je sais, mais je ne peux pas t'en parler, c'est beaucoup trop compliqué. Ce n'est pas une question de confiance, je sais que tu es quelqu'un de bien, mais je ne peux vraiment pas en parler.
- Je comprends, répond-elle. Et le travail ça va ? me demande-t-elle ensuite, sûrement pour changer de sujet.
Sauf que ce n'est pas franchement le meilleur sujet...
- Bof, ma journée d'hier était catastrophique et ils sont entrain de remettre en question leur décision...
- Oh... Mais je suis sûre que ça ira mieux ce soir ! m'encourage-t-elle.
***
- Tu es virée.
Alberto et Gloria me regardent avec insistance. Ils sont vraiment énervés. En même temps, il y a de quoi ! La chose qui m'embête, c'est de trouver le moyen d'expliquer à ma mère que j'ai perdu mon travail au bout d'un mois et demi après avoir renversé accidentellement une crème glacée sur le crâne dégarni d'un homme qui sirotait son cocktail... Oui, c'est ça la raisons de mon renvoi. J'ai honte, je l'avoue. Mais lorsque j'ai entendu une fille parler de la petite-amie de Pablo Alborán, j'ai perdu tout contrôle de mes gestes. C'est quoi cette histoire de petite-amie ?! Il se pourrait - option qui me rassurerait quelque peu - que quelqu'un nous ait aperçu ensemble aurait partagé la nouvelle sur les réseaux sociaux, ou alors Pablo me ment depuis le début et ne fait que profiter de ma naïveté...
Malgré tout, ma priorité reste de trouver un nouveau travail.