Chapitre 5

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Un petit soupir de soulagement passa la barrière de mes lèvres. Livai continuait de fixer le dénommé Jean d'un regard glacial. Adressé à moi, ce regard m'aurait fait trembler de frayeur. Mais à cet instant, il était là pour me protéger. Paradoxalement, ces yeux froids étaient pour moi procureurs d'une douce et agréable chaleur qui s'installa tranquillement tout autour de mon petit cœur encore affolé pour le calmer.

Les deux Alpha se toisaient silencieusement au milieu de ce couloir vide, tandis que, n'osant pas amorcer le moindre mouvement, je les observais en silence, toujours au sol. Puis, après quelques dizaines de secondes, Jean détourna le regard et repartit vers l'escalier en marmonnant de très vagues excuses à l'intention du Caporal... du moins je crois.

Lorsqu'il eut disparu à l'angle du couloir, je relâchai enfin mon souffle, que je n'avais jusque-là pas conscience d'avoir retenu. Le Caporal-chef Livai s'approcha de moi.

《 - Ça va gamin? 》

Je hochai timidement la tête, peu assuré. Jean ne m'avait rien fait, mais ce n'était pas passé loin. Si Livai n'était pas arrivé à ce moment... Je frissonai en y pensant. Livai me tendit la main pour m'aider à me relever. Sans vraiment m'en rendre compte, je m'accrochai à cette main comme si elle était la dernière chose qui me retenait de tomber dans un précipice. La voix, l'intonation, les mouvements de Jean, ses mots... tout cela ne me rappelait que trop bien ces deux années de souffrance.
J'avais peur.

Livai dût le comprendre car il me prit délicatement entre ses bras, dans une étreinte un peu hésitante (il n'avait sans doute pas l'habitude de réconforter les gens) mais aussi et surtout douce, rassurante, protectrice. Il fit des petits cercles dans mon dos avec sa main, et je laissai couler quelques larmes.

C'est seulement à ce moment-là que je me rendis compte de l'impact que ces deux années de torture avaient eu sur moi. Un véritable traumatisme. Un seul mouvement, une seule parole, un seul regard sur moi d'un inconnu pouvait me terroriser. Alors je fondis en larmes dans les bras de Livai, parce que c'était la seule chose dont j'étais capable à cet instant, et parce que j'en avais terriblement besoin.

Je pleurais pour ce jour où on m'avait arraché à Armin et Mikasa pour m'emmener dans ce laboratoire. Je pleurais pour mon réveil dans cette salle au plafond gris, pleine de machines et d'objets inconnus, attaché avec des sangles à cet espèce de table en métal froid. Je pleurais pour chaque aiguille plantée dans ma peau, chaque goutte de sang que j'avais perdue. Je pleurais ces longs jours insupportables où ils m'avaient privé de suppresseurs pendant mes chaleurs. Je pleurais pour chaque rire, chaque exclamation, chaque sourire que j'avais aperçu sur leur visage. Je pleurais pour ces yeux rieurs, sadiques, autant que ces regards indifférents devant mes hurlements de douleur. Je pleurais pour ces nuits glaciales dans ma cellule, pour ces jours sans manger. Je pleurais pour la peur, la colère, le dégoût et le désespoir qui m'avaient sans cesse assailli pendant ces deux années d'horreur. Je pleurais pour le moment où j'avais revu la lumière du jour. Je pleurais parce qu'on m'avait sauvé. Je pleurais parce que c'était fini. Je pleurais parce que j'avais retenu mes larmes beaucoup trop longtemps.

On était au milieu de la nuit. J'étais fatigué d'avoir pleuré, fatigué d'avoir peur, fatigué par toutes ces réminiscences qui m'harcelaient sans vouloir me lâcher. Pourtant, le sommeil semblait prendre un malin plaisir à me fuir. C'était pourquoi à presque trois heures du matin, j'avais les yeux grands ouverts, fixant le plafond sans réellement le voir.

Lassé de me retourner sans cesse, je décidai de me lever pour aller à ma fenêtre et admirer la nuit. Dehors, le spectacle qui s'offrit à moi était grandiose. Le ciel était d'un bleu sombre, presque noir, mais paradoxalement, il était lumineux. Des centaines, peut-être des milliers d'étoiles l'éclairaient, dispersées un peu partout en constellations dont j'ignorais le nom. Et au milieu de cette immensité, magnifique et étincelant, trônait l'astre nocturne. La Lune n'était pas pleine ce soir, seul un croissant était visible. Quelques petits nuages flottaient par-ci par-là.

Le ciel était hypnotisant. Je ne sais si tout le monde aurait ressenti cela ou bien si c'est uniquement parce que je n'avais pas pu admirer le calme et la sérénité de la nuit depuis longtemps mais, alors que mes yeux se perdaient dans l'immensité céleste, j'eus soudain le sentiment que rien n'avait jamais été plus beau. Et je finis par m'endormir au même endroit, plus apaisé que jamais, sous la Lune qui me souriait.

**********

Après avoir passé deux ans confiné entre quatre murs, respirer l'air pur de dehors était libérateur. Aussi, je décidai de sortir pendant que le Bataillon déjeunait, pour ne pas croiser trop de monde. On était au printemps et les buissons étaient en fleurs. J'aperçus, posé sur l'une d'elles, un magnifique papillon noir et blanc que je suivis du regard lorsqu'il prit son envol. Puis je recommençai à marcher un peu au hasard, tout en veillant à rester près du bâtiment que je connaissais.

Mes pas me menèrent finalement jusqu'aux écuries, où l'odeur de foin me rappela de lointains souvenirs d'enfance que je croyais oubliés. Ma mère, les cheveux en désordre, un grand sourire sur le visage, en train de panser un équidé. Moi, Armin et Mikasa, faisant une balade à cheval avec Pixis, le propriétaire du ranch voisin qui nous aimait bien. Mon père, les bottes pleines de foin et de boue, en compagnie de ce même homme, qui était son meilleur ami.

Dieu qu'ils me manquaient... mes parents, et Pixis qui était un peu notre oncle à tous les trois, le grand-père d'Armin et ses gratins de choux-fleurs, et tous les moments passés avec eux... mais je souriais. J'avais retrouvé Armin, j'avais retrouvé Mikasa, j'avais rencontré Livai. J'allais me créer de nouveaux souvenirs avec eux. C'est fort de cette résolution que j'entrai dans l'écurie pour caresser un cheval.

Je ne remarquai la présence de quatre autres personnes que quelques minutes après. Je sursautai et me mis à angoisser, priant pour qu'ils ne m'aient pas vu.

《 - Bonjour, me dit gentiment un garçon d'approximativement mon âge, brun et le visage couvert de tâches de rousseur. Tu dois être Eren? Mikasa et Armin ont parlé de toi. Je m'appelle Marco et eux c'est Ymir, Annie et Berthold.
- J-Je... Enchanté...?
- Détends-toi! dit Ymir, on va pas te manger! Tu as devant toi tous les autres Oméga du Bataillon. 》

Ils me sourirent. On parla pendant quelques heures avant qu'ils n'aillent s'entraîner. Livai arriva peu de temps après pour s'assurer que j'allais bien. Je me levai pour aller le prendre dans mes bras, le serrant de toutes mes forces.

《 - Merci, murmurai-je. Merci pour tout. 》

Puis je lui adressai mon plus beau sourire. J'avais peur, je restais traumatisé, mais mon sourire était sincère. Parce que j'avais réussi à parler avec ces personnes que je connaissais si peu, très gentilles d'ailleurs. Parce que j'avais retrouvé mes meilleurs amis. Parce que j'allais être là, dans les bras de Livai. Parce que, après des mois de désespoir, je voyais enfin une perspective d'avenir.

Parce que je venais de choisir de vivre.

Merci... [Riren]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant