XIII

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Nom : Emily

Dicton : Le naufrage du Titanic a commencé bien avant qu'on aperçoive l'iceberg

Ma mère ne m'a pas demandé si c'était vrai. Peut-être qu'elle préférait croire que c'était vrai. Peut-être que quand le directeur lui a annoncé que j'étais suspectée d'avoir eu des relations sexuelles avec monsieur Sullivan, elle a pensé : « Alléluia ! C'est pour ça que ma fille ne m'a jamais présenté de petit copain. » Ma mère dit toujours que je suis belle, mais que je devrais me mettre davantage en valeur. « Tu pourrais avoir tous les garçons à tes pieds. » Comme si ça m'intéressait, les garçons.

On était à peine rentrées dans la voiture qu'elle m'a tendu un paquet de chez Sack's.

– Je venais de te l'acheter quand on m'a appelée.

C'était un parfum de Dior. Poison. Je l'ai sorti de la boîte. Il ressemblait à une pomme rouge. Ma mère fait tout le temps ça. Elle tente de m'imposer sa vision de la féminité. Je fais un effort pour m'habiller. Pour le reste, je me contente de dire merci.

Elle a posé sa main sur mon épaule :

– Ne t'inquiète pas, j'ai fait pire à ton âge.

J'ai eu l'impression qu'elle venait de m'électrocuter.

– Mais tu sais que c'est faux, maman ?

Son visage est resté de marbre, comme si elle ne m'avait pas entendue. La voiture amorçait un virage dangereux. J'ai supposé qu'elle était attentive à la route.

– Il t'a raccompagnée trois fois à la maison...

Elle a freiné brutalement pour éviter une collision. Le flacon s'est cogné à la vitre et Poison s'est répandu sur mes genoux.

– C'est malin, a dit ma mère. Tu sais combien il m'a coûté ? Enfin, peut-être qu'on obtiendra un dédommagement. Peut-être que je devrais porter plainte. Il faut que je parle à un avocat.

– Maman ! ai-je hurlé. Il m'a raccompagnée parce que tu as oublié de venir me chercher après l'entrainement. Tu aurais préféré que je rentre à pieds ? Tu sais ce qui arrive aux filles qui marchent toutes seules le long de la route ?

– Il aurait dû me demander mon avis.

– Tu ne répondais pas au téléphone !

– Ne lui cherche pas des excuses. Tu parlais avec lui sur les réseaux sociaux. La police me l'a dit.

C'est vrai, il m'arrivait de parler à monsieur Sullivan. La première fois, c'était pour lui demander des conseils de lecture. La seconde fois, pour savoir si je pouvais parler de politique dans un devoir. Ensuite, j'avais commencé à me confier. Sur ma mère qui semblait vivre sa crise de la quarantaine depuis le divorce. Sur tout ce qu'elle m'achetait pour compenser son manque d'attention et l'absence de mon père. Sur le fait que je me sentais seule et différente des autres. Si la police avait lu les messages, elle devait savoir qu'il n'y avait rien d'ambigu.

– C'est moi qui l'ai contacté.

– Eh bien, il aurait mieux fait de t'ignorer. C'est interdit par la loi. Et monsieur Sullivan le savait très bien.

– Il n'y avait rien de mal.

– Arrête, Emily ! Tu es probablement persuadée que tu vivais une grande histoire d'amour, mais ce n'est pas à toi d'en juger. L'affaire est entre les mains de la justice maintenant. S'ils l'ont arrêté, c'est qu'ils avaient suffisamment d'éléments contre lui. Tu n'as rien à te reprocher. C'est normal d'être attirée par des hommes à ton âge. C'est lui qui a fauté.

Dans sa tête, c'était probablement moins pire de m'imaginer faire l'amour avec mon prof qu'avec une fille. Alors j'ai respecté ses chimères. Peut-être que ça m'arrangeait aussi d'une certaine façon.

À partir du jour où ma mère a porté plainte, c'est devenu son combat. Sa plaidoirie. Elle était déterminée à gagner pour obtenir justice – ou une nouvelle paire de seins. Elle a raconté aux flics que je protégeais monsieur Sullivan parce que j'étais amoureuse. Puis elle m'a conseillé de garder le silence et de laisser parler son avocat. Alors j'ai laissé parler l'avocat. J'étais prisonnière des paroles qu'elle avait prononcé. « C'est normal d'être attirée par les hommes à ton âge. » J'étais navrée pour monsieur Sullivan, mais c'est comme si nous étions coincés sur le même bateau et que je devais sauver ma peau. C'était sa réputation ou la mienne.

Toute confidence sera retournée contre vousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant