III

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Nom : Eden

Dicton : Il n'y a pas de fumée sans feu

Tout le monde est persuadé qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Mais peut-être qu'il n'y a pas de feu sans fumée. Au fond, c'est comme l'histoire de la poule et de l'œuf. On ne sait jamais qui de la fumée ou du feu était là en premier.

C'est arrivé un samedi soir. Je grignotais sur mon lit quand j'ai vu qu'Emily organisait sa soirée d'anniversaire. Comme tous les ans, sa mère lui laissait la maison. Emily a de la chance. Sa mère sort souvent depuis son divorce. Emily dit parfois que sa mère a une carte visa à la place du cœur. C'est vrai que pour son mariage elle n'a pas loupé le coche. Elle a signé un contrat prénuptial qui lui garantissait des parts dans l'entreprise de son mari et un toit jusqu'à la fin de ses jours. Le genre de toit sous lequel s'élancent de grandes colonnes blanches entourées d'un jardin où on pourrait parquer un troupeau d'éléphants et deux hippopotames dans la piscine. Quand on était petites, on s'y perdait pendant des heures durant nos parties de cache-cache.

J'ai cliqué sur « Je participe » en croquant dans mon cône glacé. Emily et moi, on se connait depuis qu'on a six ans. Mais ces dernières années, je me suis un peu éloignée parce qu'elle me mettait mal à l'aise. J'avais l'impression qu'elle cherchait constamment à nous mettre en concurrence. Elle me demandait comment je la trouvais et j'étais obligée de la complimenter parce qu'Emily a le corps requis pour que tout lui tombe divinement bien. J'avais l'impression qu'elle se mettait sur son trente-et-un même lorsqu'on était que toutes les deux. Comme si elle cherchait à m'impressionner. Il fallait toujours qu'elle prouve qu'elle était mieux que moi. Enfin peut-être que je me fais des films. Peut-être que c'était juste sa beauté naturelle, son attitude. Peut-être que c'était moi qui étais jalouse. Quelque chose d'impossible à définir me mettait mal à l'aise. Du coup, je ne lui en ai jamais parlé. J'ai juste pris un peu mes distances et notre amitié est redevenue normale, équilibrée. J'ai limite eu l'impression de reprendre le pouvoir. Quand je voyais qu'elle me courait après dans le couloir pour me parler, ça me faisait plaisir. Au fond, je l'aimais vraiment bien, Emily. C'était quelqu'un de drôle et d'honnête. Enfin, c'est ce que je croyais.

J'étais arrivée au petit trésor chocolaté qui se cache tout au fond du cornet lorsque j'ai vu qu'Emily avait ajouté une nouvelle publication :

Je ne m'attendais pas à ce qu'autant de personnes portent un intérêt à ma soirée d'anniversaire. Je vous remercie tous, mais le nombre de places étant limité, voici les personnes qui ne sont pas invitées.

J'ai un peu tiqué. Depuis quand Emily se souciait qu'il y ait trop d'invités pour l'admirer ? Ce n'était pas comme si elle habitait une maison comme la mienne où on ne peut pas inviter plus de cinq personnes sans se marcher sur les pieds. J'ai fait dérouler la liste en étalant du chocolat sur l'écran. Elle n'était pas si longue. Ce n'était donc pas une question de quantité, mais de qualité.

Je ne peux pas dire ce que j'ai ressenti quand j'ai vu mon nom. Je crois que je n'ai rien ressenti du tout tellement ça paraissait surréaliste. J'ai dû relire le message environ cinq fois, puis j'ai regardé le profil d'Emily en me demandant qui était cette personne aux yeux bleus-gris et au sourire timide qui venait de me blacklister.

Qu'est-ce qu'elle avait bien pu faire du nombre incalculable de fous rire qu'on avait partagés, du nombre incalculable de larmes que j'avais essuyées, de tous ces bons souvenirs qui encombraient ma tête ? Ça paraissait incohérent de se souvenir de tout ça en regardant mon nom au bas de cette liste. Ça faisait comme une collision répétée dans ma tête. Un combat entre le bon vieux temps et l'instant présent. Entre ma mémoire et mes neurones qui s'agitaient sous le coup de la colère et de l'incompréhension.

Je suis revenue à la première invitation et j'ai cliqué sur « Pas intéressé. » Ça m'était égal de manquer la fête d'Emily. Je les connaissais par cœur ce genre de fête. Emily aurait une jolie robe toute neuve, il y aurait des bouchées traiteurs à moitié dégelées, de l'alcool à moitié planqué de façon à ce qu'Emily puisse dire « Non, non, personne n'y touche » mais qu'on puisse se saouler quand même. Par contre, ce qui m'intéressait, c'était de savoir pourquoi je me retrouvais rabaissée au même niveau que des filles qui ne savaient même pas qu'Emily détestait se maquiller et qu'elle mettait de la cannelle sur à peu près tout ce qu'elle mangeait.

J'ai ouvert l'application Messenger et j'ai hésité à lui envoyer un message. « C'est quoi ce délire ? » Mais je n'avais pas envie d'utiliser Facebook pour régler mes comptes. Je voulais qu'elle voie dans mes yeux l'étendue des dégâts. Je ne voulais pas lui laisser la possibilité de se défiler.

Toute confidence sera retournée contre vousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant