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Nom : Leelas

Dicton : La parole est d'argent, mais le silence est d'or

Personnellement je ne leur ai jamais parlé, hormis quand je voulais leur faire signer une pétition. Emily prenait toujours le stylo la première, quitte à me l'arracher des mains, pour apposer sa signature d'un geste désinvolte. Elle traçait ses s comme des ailes d'oiseaux. Parfois j'avais l'impression qu'elle signait sans avoir compris la cause qu'elle soutenait. Ça m'énervait un peu, mais je ne disais rien. Après tout, la seule chose que j'attendais d'elle, c'était une signature. Et la seule chose qu'elle attendait de moi, c'était probablement que je disparaisse au plus vite. Ça tombait bien puisque je déteste m'embourber dans de longues discussions. J'aurais aimé qu'il y ait plus d'Emily dans ce monde. Avec d'autres personnes, j'étais obligée d'argumenter pendant un quart d'heure. C'était épuisant. Eden avait une langue bien plus pendue qu'Emily. Un jour, elle m'a demandé :

– Qu'est-ce que t'as au juste ? Pourquoi tu passes ton temps à faire signer des pétitions pour les pingouins ?

Je n'avais jamais défendu les pingouins, seulement les manchots, ce qui n'est pas du tout la même chose. Pour info, les premiers savent voler, pas les seconds. Cependant, je n'ai pas relevé. Les conflits, je déteste ça. Ça me consomme beaucoup trop d'énergie. Moi je suis comme un poêle à pellets. Je commence la journée avec une certaine quantité de combustible. Chaque conversation m'en gaspille une bonne partie. Alors j'économise mes mots. Histoire de ne pas me retrouver à plat à la fin de la journée.

– Les animaux et les arbres ne savent pas signer des pétitions eux-mêmes. Donc je m'en charge à leur place.

Elle tenait mon bic entre les mains. La pointe était encore rétractée. J'ai prié « Vas-y ! Appuie sur la gâchette ! » Mais elle a dégainé la pointe, puis l'a fait disparaître et ainsi de suite dans un cliquetis agaçant.

– Non, je voulais dire pourquoi tu te mêles pas aux autres, tu viens jamais aux sorties scolaires, on te voit jamais dans les soirées. T'es agoraphobe, c'est ça ?

J'ai une dérogation pour les sorties scolaires depuis que j'ai fait une crise de nerfs dans un dortoir à douze ans. Ce manque d'intimité, ça relevait pour moi de la torture. Ça a impressionné tout le monde que je puisse crier si fort. Les gens ont cru que j'étais possédée. En fait, j'avais juste besoin d'être seule. Je pourrais dormir dans une tente au milieu de la jungle, mais ne me demandez pas de supporter dix filles qui piaillent sans arrêt.

– Asocial, ce n'est pas la même chose, je l'ai corrigée. C'est un trait de personnalité, pas une maladie. J'ai besoin de solitude plus que les autres. Tous les humains ne sont pas des animaux grégaires.

Elle a replacé une mèche de ses courts cheveux bruns derrière son oreille et j'ai remarqué qu'elle portait la même boucle d'oreille qu'Emily. Une clé de sol. D'ailleurs elle n'en avait qu'une. C'était probablement la même paire qu'elles s'étaient partagée.

– C'est quoi grégaire ?

J'aurais préféré qu'elle s'intéresse à la pétition, mais j'ai fait l'effort de répondre :

– Des animaux qui se déplacent en groupes comme les moutons.

Elle a souri. Je doute qu'elle ait compris que je venais de la traiter de mouton.

– Tu veux interdire les cosmétiques testés sur les animaux ou pas ? ai-je insisté en scrutant ses cils gainés de mascara qui avaient peut-être entraîné la mort de trois lapins.

J'étais à deux doigts de lui demander si elle savait combien de rongeurs avaient souffert pour qu'elle puisse se faire jolie ce matin. Mais j'ai préféré garder l'argument en réserve au cas où elle refuserait de coopérer.

Toute confidence sera retournée contre vousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant