LE VOISIN
ou comment les garçons fragiles fuient les regardsJe me laisse bercer par le ronronnement du moteur, ponctuellement interrompu par une voix monocorde. Le bus est vide à cette heure-ci. Seulement quelques étrangers dans leurs sphères.
Loin de moi.
Aucun risque de contact.
Je me détends imperceptiblement, oubliant presque que je vais devoir trouver une excuse pour mon absence au lycée.
J'ai toujours la reine de trèfle du pseudo magicien en main. La reine en question me toise du regard, débordant de mystère. Il ne me l'a pas réclamée. À vrai dire, je ne crois pas lui en avoir laissé le temps non plus, vu la vitesse à laquelle je me suis éclipsée de la salle. Désireuse de ne pas plus ressasser dans ma tête l'éclat blanc qui m'a submergée à son contact, comme une explosion de lumière, je range la carte dans mon sac.
Quand je lève la tête, mon regard croise furtivement un autre, qui se détourne immédiatement. Un garçon blond, à l'allure fragile. Il tourne la tête vers la fenêtre du bus d'une manière peu naturelle : élément incontestable trahissant le fait qu'il m'observe depuis tout à l'heure. Il se risque à nouveau dans ma direction avant de baisser précipitamment les yeux.
D'un air faussement détaché je laisse mon regard errer dans le vague. En réalité, son visage me perturbe, j'ai l'impression qu'il m'est familier.
Le nom de mon arrêt résonne dans le haut parleur et je m'empresse de me précipiter vers la sortie pour ne pas rater la fermeture des portes. Ce n'est que lorsque ronronnement du moteur commence à se faire de plus en plus lointain que je remarque que je ne suis pas la seule à être descendue. Je me retrouve face au blond épieur, dont les grands yeux bleus semblent pétrifiés sur moi.
Je te connais, non ?
Pas le temps de dire un mot qu'il s'éloigne à grandes enjambées, la tête baissée, dans une allure de voleur qui prend la fuite.
Je ne l'aurait pas suivit si son chemin n'était pas exactement le même que le mien.
Ses grandes jambes lui permettent aisément de me distancer, ce qu'il ne manque pas de faire au maximum. Néanmoins, je sais marcher vite aussi, et même si je me retrouve presque à trottiner, j'arrive à atteindre son niveau.
— Excuse-moi ?
Au début je crois qu'il ne m'a pas entendue, et puis, avant que je n'ai pu l'interpeller de nouveau, il prend un brusque tournant, me laissant seule dans ma rue.
Je reste plantée sur le trottoir, fixant sa silhouette dévergondée s'éloigner.
Quelle est ma surprise lorsque quelques minutes plus tard, de la fenêtre de ma chambre, je le vois apparaître de nouveau.
Je pose précipitamment la pile de CD que j'avais commencé à examiner avant de m'approcher de la vitre. Il marche jusqu'à s'arrêter devant une maison mille fois identique à la mienne et déverrouille le portillon, étrangement pressé. Seule la chaussée la sépare de moi, et j'ai une vue imprenable sur tout le jardin.
Ce serait donc mon voisin d'en face.
Juste avant de monter les marches du perron, il lance un regard derrière lui. Non pas un simple regard en arrière, car j'ai bien l'impression qu'il sait vers où regarder. Je ne sais pas s'il me voit, mais en tout cas, il fixe longuement ma fenêtre avant de s'engouffrer chez lui.
Je soupire en me rabattant contre le mur.
Impossible de me rappeler de son nom. Pourtant, je suis sûre de l'avoir connu. Je baisse les yeux sur le lecteur de disque qui trône sur la commode.
Je me laisse lentement glisser au sol, alors que la musique commence.
Ce n'est pas parce que tu ne te rappelles pas, que ce que tu as vécu n'a pas existé.
C'est ce que m'a affirmé la psychologue à mon réveil, comme un énième sermon. Pourtant, je me sens si vide sans mes souvenirs. Ma mère s'est recluse sur elle même, et même si elle fait semblant d'aller bien, je sais qu'elle flanchera à la moindre contrariété, alors j'évite de trop lui en parler.
J'aimerais juste quelqu'un pour me rappeler de qui j'étais.
Une heure plus tard, j'appuie sur la sonnette de la maison d'en face, les bras croisés autant pour me protéger du froid que pour me donner une contenance.
Il est presque vingt heures et les lampadaires sont déjà allumés, malgré la clarté du ciel. Un aboiement de chien lointain, un mugissement de moteur, quelques pépiements d'oiseaux... sont les seuls sons qui me parviennent. Mais du côté de la bâtisse qui me fait face : silence radio.
Je sonne une seconde fois, mais personne ne semble vouloir m'ouvrir.
Je me lève sur la pointe des pieds, tachant de projeter mon regard le plus haut possible. Je jurerais avoir vu ce rideau bouger.
Pourquoi autant de réserve ?
Légèrement vexée, mais pas démontée pour autant, je déchire un papier et griffonne quelques mots dessus, avant de le glisser dans la boîte aux lettres.
Guettant une réaction, je reste encore quelques secondes devant la porte.
Je finis par rentrer chez moi.
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𝓶𝓲𝓷𝓭
Mystery / ThrillerLorsque Alma se réveille dans sa chambre d'hôpital, impossible pour elle de se souvenir des causes de sa présence ici. Elle ne se rappelle ni de ses amis, ni de son lycée, ni même de ses rêves ou de ses passions. Le monde se révèle être un étrange o...