Chapitre 8

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Au petit matin, la logeuse de Théophile Dieudonné le découvrit, à son grand déplaisir, dans la salle à manger, une valise à côté de lui et quarante francs dans la main.

"Vous ne partez pas déjà!, se désola-t-elle.

-Je suis navré, mais voyez le bon côté des choses ; vous ne vous lèverez plus à l'aube et mon compagnon de chambrée pourra dormir tranquille.

-Dieu merci! s'exclama ce dernier. Il ne dort pas, ce saligaud. Il gigote dans tous les sens, quand il ne laisse pas la lampe de chevet allumée toute la nuit.

-Voilà. Aussi, je vous règle le reste du mois. Ce sera pour les inconvénients causés par mon départ soudain.

-Et où allez-vous, alors? Vous retournez à Paris?

-Du tout; je vais habiter chez Madame de Douarnez."

La vieille dame en lâcha les bols de surprise. Ceux-ci éclatèrent contre le sol, s'éparpillant en mille morceaux sur leurs pieds. Théophile entreprit de les ramasser.

"J'étais déjà étonnée que vous soyez accepté à l'intérieur du manoir... Mais de là à y vivre à plein temps! Comment...

-Je travaille pour Madame de Douarnez à plein temps, à présent , justement. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je dois m'installer là-bas avant midi."

Mais il s'arrêta soudain dans son élan, et sortit dix autres francs, qu'il fourra dans la main de la tenancière.

'C'est pour les bols', déclara-t-il avant de partir, essuyant plusieurs regards perdus.

À onze heures, Théophile était très bien installé, et rejoignit Iris dans la salle à manger.

"Votre chambre vous plaît-elle? lui demanda cette dernière sans détourner les yeux du livre qu'elle avait commencé.

-Elle est parfaite.

-Tant mieux. C'était une chambre d'amis, puis elle a accueilli les petits enfants de Maël, et maintenant elle demeure vide. J'espère que le matelas ne sera pas trop vieux.

-Ne vous en faites pas, je n'ai pas un sommeil difficile. Je peux m'endormir n'importe où, si je le veux.

-Magnifique. Venez vous asseoir ; Marthe nous a fait quelque chose de bon, comme toujours."

Après un déjeuner copieux, ils s'installèrent dans le jardin d'hiver. Iris poursuivit son histoire:

"Je ne dormis que peu, cette nuit-là. Et quand je descendis prendre une collation, au matin, seuls mes parents étaient attablés.

'Bonjour, Iris, commença ma mère. As-tu bien dormi?

-Bonjour Maman, bonjour Papa. J'ai très bien dormi, et vous-mêmes?'

Mon père sourit discrètement, amusé, tandis que ma mère soupirait de lassitude. Je m'installai; Agathe me servit ma tasse de thé.

'Avez-vous vu ma sœur?

-Pas encore, me dit mon père. Mais nous n'allons pas tarder. Notre... gendre et sa sœur nous ont quittés il y a quelques minutes pour une promenade matinale.'

Il retenait son déplaisir, c'était évident. Mais il aimait trop sa fille pour l'exprimer. Et d'ailleurs, je ne sais même pas s'il arriverait à la regarder dans les yeux après l'événement majeur qui s'était passé le soir précédent."

"Contrairement à ce qu'il avait prédit, ce fut Amal, puis Maël, qui descendirent en premier nous rejoindre. Amal s'installa à côté de moi et articula un timide:

Mémoires du Siècle Dernier, tome 3: Les témoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant