Madame de Douarnez pinça ses lèvres de dépit, puis cracha :
"Virginie."
"Bien sûr, Virginie. Après toutes ces années, elle venait rompre la paix que mon cousin avait un tant soit peu retrouvée. Comment avait-elle fait pour trouver sa maison? Le nom de sa femme? Car ce n'était pas Maël qu'elle avait demandé à voir."
"Je me tournai vers le domestique et lui dit:
'Il ne serait pas très judicieux de la laisser entrer.
-Bien sûr, faites-la venir.'
Je m'apprêtais à protester, mais ma belle-cousine me coupa:
'Iris, je pense être capable de m'occuper des gens que je reçois toute seule.'
Je ne répliquai rien. Elle avait raison. Elle était chez elle, et je n'étais qu'une invitée. Mais Amal, après cette remarque un peu sèche, sembla ne plus faire cas de mon initiative cavalière et voua toute son attention à la nouvelle arrivante.
'Soyez la bienvenue, Madame', annonça-t-elle en se levant pour l'accueillir."
"Pour tout vous dire, je n'avais pas vu Virginie depuis environ six ans, et le fait de la rencontrer à nouveau me laissa une étrange impression. Je ne m'étais jamais retrouvée face à elle. Je l'avais toujours observée de loin, et elle m'était toujours apparue belle, confiante, resplendissante. Mais à présent que je l'examinais de près, je pus conclure que le mariage ne lui seyait pas non plus. Non pas qu'elle fût devenue laide ; loin s'en fallait. Elle avait juste largement perdu son éclat, son énergie, son aura séductrice qui faisait que tous les jeune hommes bien nés tournaient autour d'elle. L'ennui et le désespoir d'une union stérile avec un vieil aristocrate rompu à l'art d'épouser les demoiselles l'avaient sans doute refroidie. J'aurais dû me réjouir ; à priori, elle n'avait que ce qu'elle méritait. Il n'en fut rien. Elle réussit même à me peiner.
'Je vous en prie, asseyez-vous près de moi', l'invita Amal.
Virginie s'assit sous mon regard suspicieux, décontenancée par tant de gentillesse, puis se releva, et s'exprima à son tour.
'Madame, il semble que vous ne déméritiez pas les grâces que l'on vous accorde dans les environs. Je vous remercie de m'accueillir, alors que je me montre aussi impolie. Je suis Virginie Chailly de la Boissière.
-Et moi Amal de Péradec. Je vous avoue avec honte ne jamais vous avoir rencontrée, alors que la famille de mon mari semble bien vous connaître. J'en suis désolée.'
Je vis Virginie pâlir sous la violence du coup que venait de lui asséner ma belle-cousine sans même s'en rendre compte. Elle répliqua tout de même avec complaisance :
'La faute est mienne. Vous vous êtes installée il y a peu en France ; j'aurais dû vous rendre visite plus tôt. Je suis une vieille amie de Monsieur de Péradec.'
J'ouvris de gros yeux, mais Amal me coupa l'herbe sous le pied en annonçant :
'Les amis de mon mari sont toujours les bienvenus sous ce toit, bien entendu. Hélas, je ne les connais pas tous. Avez-vous pu au moins assister au baptême?'
Même si elle me faisait pitié, je prenais plaisir à la voir réaliser peu à peu ce qu'elle avait perdu. Maël n'était certes pas un cadeau, mais c'était tout de même mieux que sa situation actuelle.
'Le baptême, se rattrapa-t-elle. Non, je n'ai pas eu ce bonheur. Hélas.
-Quel dommage.'
Ma belle-cousine lui désigna le berceau de la main, tout sourire.
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 3: Les témoins
Ficção HistóricaSeptembre 1834, Pays de Retz, Loire Inférieure: Après de nombreux détours et déceptions, tout semble se passer en accord avec la famille de Douarnez: Lorelei, l'aînée, va devenir Madame d'Arcourt. Iris, la cadette, accepte enfin le destin de femme q...