"La nouvelle demeure de mon cousin ne payait pas de mine quand on l'observait de loin. Il s'agissait d'une vieille bâtisse, une ruine du seizième siècle, sûrement abandonnée par ses propriétaires bien avant que des paysans en colère ou l'armée de la République ne vienne les y déloger. Les murs semblaient encore solides; les échafaudages concernaient surtout le toit et certains parquets vermoulus sous les combles. Et c'était là qu'il fallait regarder de près: mis à part des fragilités qui, certes, constituaient tout de même un problème d'ampleur, tout était demeuré en bon état. Des grandes cheminées un peu bouchées, mais épargnées par le temps et l'usure, aux papiers peints et boiseries qui en majorité, et par je ne sais quel miracle, avaient survécu à l'humidité de notre région, tout était là. Même quelques meubles que mon cousin et le gardien avaient retrouvé dans un réduit caché au fond de l'arrière cour et que les enchères nationales n'avaient jamais découverts. Ainsi, Maël avait pu se passer de l'achat d'un lit monumental en noyer, de six chaises, de deux commodes et d'une coiffeuse. Les faire retapisser et vernir coûtait beaucoup moins cher que de les acheter. Au final, avec les rénovations, il en avait largement pour son argent."
"Les autres acheteurs n'y avaient vu que des vestiges, un gâchis; moi-même, je pensais que le château ne serait jamais sauvé avec le peu de moyens de mon cousin. Mais Maël, je ne peux que l'admettre, observait tout dans le détail. Quand, pendant la visite, j'imaginais ce que l'on pourrait faire avec des dizaines de milliers de francs, puis revenais à la triste réalité, lui scrutait et retenait, planifiant et calculant tout ce qu'il pourrait économiser. C'était l'une de nos plus grandes différences. Là où je n'avais d'yeux que pour l'évidence, Maël saisissait toutes les nuances d'un sujet. Là où il pesait patiemment le pour et le contre, je fonçais vers ce qui correspondait de suite au juste et au beau.
-Vous étiez la plus obstinée, décréta alors Théophile.
-Détrompez-vous, le scribe. Je fermais sûrement les yeux sur les petits inconvénients pour courir à la vérité, mais Maël pouvait faire ce dont j'étais parfaitement incapable: ignorer ce qui était flagrant.
-Ce qui est aussi une forme d'obstination.
-J'ajouterais même que Maël aimait se compliquer la vie quand cette dernière ne s'en chargeait pas pour lui. Ce que je n'ai jamais compris, d'ailleurs."
"Mais il semblait fier de ce qu'il avait fait. Quand nous arrivâmes au manoir, en une fin d'après-midi d'août, les travaux ne concernaient plus que l'aile ouest, l'aile des invités, selon Maël. Ce dernier insista même pour nous faire la visite, qui se termina sur la chambre d'Amal. Là, ma belle-cousine retint son souffle, émerveillée, et je constatai avec une agréable surprise qu'il avait porté une attention toute particulière à l'installation de sa femme."
"C'était une grande pièce, avec de grandes fenêtres et un grand lit - celui qu'il avait trouvé et fait restaurer. Le soleil couchant répandait avec générosité son éclatante lumière sur les murs immaculés. Blancs aussi étaient les rideaux, le baldaquin et le linge de lit. C'était du voile, tout simplement; pas les étoffes lourdes, sombres et riches auxquelles j'étais habituée. Non; les tissus rares et fins avaient été utilisés pour fabriquer les coussins et orner un imposant divan oriental, qui occupait tous un coin, à l'opposé de l'espace de couchage. Une sorte de petit salon encore plus privé. C'était adorable. Le sol était recouvert d'immenses tapis fleuris, et chaque meuble s'était vu décoré d'un bouquet encore frais. Je levai un sourcil admiratif, et Maël interrompit la rêverie d'Amal en bégayant:
'Si... si quelque chose vous déplaît, je le ferai changer.'
Amal se retourna alors vers lui et lui sourit avec tant de gentillesse que je l'en vis troublé.
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 3: Les témoins
Исторические романыSeptembre 1834, Pays de Retz, Loire Inférieure: Après de nombreux détours et déceptions, tout semble se passer en accord avec la famille de Douarnez: Lorelei, l'aînée, va devenir Madame d'Arcourt. Iris, la cadette, accepte enfin le destin de femme q...