IV

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Je raccroche d'un appel interminable et fatiguant avec mes parents puis pousse un soupir de soulagement. Mon père avait essayé par tous les moyens de me convaincre de revenir, ce qui m'avait le plus épuisé, et j'ai donc fini par raccrocher en prétendant un mal de tête énorme. Je me sens bien dans ce pays, avec ses habitants et ce mélange de passé et de futur dans la ville même. Je ne comptais en aucun cas partir d'ici. C'est ma maison, mon foyer, désormais. 

Quelqu'un toque à la porte et c'est donc à pas lourds que je me lève et vais l'ouvrir. Le joli visage de Eun-Jung apparaît dans l'encadrement, ce qui me fait sourire. J'avais cruellement besoin de compagnie. 

- Comment va ma chérie, aujourd'hui? 

- Hm... Bien, je crois, lui répondis-je en haussant les épaules. 

- Ohlala, je pense que j'ai bien fait de venir, je me trompe?

Je confirme ses dires d'un hochement de tête affirmatif tandis qu'elle entre dans mon petit appartement. La vieille femme s'assoit sur le canapé et je m'empresse de la rejoindre. Elle détaille le séjour dans ses moindres recoins et je me demande à quoi elle peut bien penser. 

- Ma chérie, il va falloir qu'on aille faire les magasins. Cette décoration ne te ressemble absolument pas, lâche t-elle finalement en esquissant un sourire. Viens avec moi! s'exclame t-elle.

Eun-Jung se lève aussi vite qu'elle s'était assise et me tire pratiquement par la main pour que je la suive. J'attrape ma veste et ma casquette accrochées à la patère du porte-manteau au passage puis ferme la porte d'entrée à clé. 

Nous sortons de l'immeuble avec empressement et je suis mon ange gardien jusqu'à l'arrêt de bus tout proche. Le car arrive et s'arrête, la porte pile devant nous, alors nous y rentrons et bipons nos cartes l'une à la suite de l'autre. J'indique à Eun-Jung un siège pas loin puis me tiens à une barre, proche d'elle. Je ne sais absolument pas où nous allons, mais je lui fais confiance. Dans tous les cas c'est soit ça, soit un énorme ennui à la maison. 

Elle me fait descendre quelques arrêts plus loin et nous nous retrouvons face à la devanture d'un magasin de décoration qui m'a tout l'air d'être prometteur. Je passe les portes automatiques vitrées à la suite d'Eun-Jung tandis qu'une femme de la sécurité nous souhaite la bienvenue avec un visage froid. 

Le magasin est immense et des rayons en tout genre sont étalés sur l'énorme rez-de-chaussée qui m'a plus l'air d'un entrepôt. Tout y est, des plus grands meubles aux plus petits accessoires de décoration. Je défais mon masque noir qui me couvrait le bas du visage puis le fourre dans la poche avant de mon jean. Ma veste large noire de sport tombe délicatement de mon épaule mais je m'en fiche, je suis trop absorbée par la contemplation d'un joli petit pot de fleur d'une forme design. Je sens que je vais faire un ravage dans ce magasin. Une gentille employée vient nous voir puis me tend timidement un panier pour que je puisse y mettre mes achats. Je la remercie d'un geste appréciateur de la tête alors qu'elle se détourne pour aller aider un autre client.

Eun-Jung m'interpelle quelques rayons plus loin pour me montrer certains coussins aux motifs noirs et blancs. Je lui réponds en levant les pouces en l'air près de mon visage, un sourire aux lèvres alors que mon aîné, heureuse d'avoir trouvé quelque chose pour moi, sourit de toutes ses dents et fourre les coussins dans son panier. Après quelques heures de fouinage dans les rayons interminables du magasin, Eun-Jung vient passer son bras en-dessous du mien puis me conduit jusqu'à la caisse. Elle me donne un coup de coude et me tire jusqu'à une caisse précise. Je la suis sans rechigner, trop occupée à regarder les messages de Taehyung qui me prévenait que dès mon prochain jour de travail, notre patron voudrait me voir, mais il ne savait pas pourquoi exactement. Eun-Jung voit que je ne l'écoute pas, alors elle me tape l'arrière de la tête doucement, mais quand même assez fort pour que je pousse un petit "aïe" en me frottant la tête avec un air renfrogné accroché au visage. 

- Qu'est-ce qu'il y a? lui demandai-je en boudant. 

- Regarde ce beau caissier... 

Je lève les yeux au ciel, un tantinet amusée par mon aîné qui me jette des coups d'oeils remplis de sous-entendus en levant ses sourcils bruns de façon suggestive. Je n'avais même pas pris la peine de regarder le fameux caissier. 

- Mais regarde-le au moins, avant de lever les yeux au ciel comme une ado! reprend-elle. 

- Je suis sûre qu'il n'a rien... je détourne mon regard de la vieille femme pour le porter sur le caissier et fût surprise d'y trouver le serveur de l'Omelas, ... d'exceptionnel, finis-je dans un souffle. 

Mais il a combien de travail, celui-là? 

- Allez, viens, on va à sa caisse! s'exclame Eun-Jung joyeusement. 

- Non, non, non, c'est ridicule! Tu ne vois pas? La queue est moins longue à cette caisse-là, fis-je précipitamment en lui en montrant un autre comptoir tenu par une jeune fille charmante. 

Nous étions là, à nous disputer pour savoir à quelle caisse aller tandis que les queues des deux comptoirs se réduisaient petit à petit face à nous. Finalement, mon aîné, ce démon placé sur Terre par mégarde, s'empare de mon panier et le pose d'un geste déterminé sur le tapis roulant du serveur. Je pousse un soupir exaspéré et râle un peu tout en la rejoignant. 

- Vous avez trouvé tout ce qu'il vous fallez? nous demande t-il en faisant un aller-retour du visage de Eun-Jung jusqu'au mien. Il ne semble pas m'avoir reconnu, et je ne sais pas pourquoi, mais ça me porte un petit coup au coeur. 

- Oui, merci mon grand, répond l'ange démoniaque avec un grand sourire fier. 

- Comment voulez-vous régler? 

Eun-Jung se tourne vers moi puis me pousse un peu pour que je prenne sa place en face du jeune homme. 

- P-Par carte, s'il vous plaît.

Décidément, je n'arrive toujours pas à aligner une phrase face à lui sans bégayer. 

Comme la dernière fois, mais à une autre caisse que celle-ci, je lui tends ma carte de paiement. Quelques secondes plus tard, il me la rend et débite machinalement les mots qu'il sert à longueur de journée aux clients.

- Bonne journée à vous, en espérant vous revoir très bientôt, dit-il poliment. 

Je m'empare des nombreux sacs plastiques avec l'aide d'Eun-Jung puis nous reprenons le bus. Je reste silencieuse tout le long du trajet, cet homme commence sérieusement à m'intriguer. 

                                                                                ***

Je suis assise en tailleur sur le parquet brun clair de mon appartement tandis que mon ange gardien nous prépare des mochis à la noix de coco dans la cuisine. Quelques dossiers et de nombreuses feuilles remplies de chiffres m'entourent alors que, mon stylo entre mes dents, j'essaie de démêler toute cette paperasse. Malgré le fait qu'Eun-Jung voit que je suis occupée, elle ne peut s'empêcher de m'embêter. 

- Tu ne lui as même pas demandé comment il s'appelle! s'exclame t-elle encore incrédule. 

- Eun-Jung... Tu ne vas pas t'y remettre! lui répondis-je exaspérée, néanmoins amusée. 

- Mais, ma chérie, il va falloir te trouver quelqu'un. Tu ne vas pas rester tous les jours seule ou, encore pire, avec la vieille peau qui te tient de voisine! me sermonne t-elle gentiment. 

Je bouge ma tête de droite à gauche dans un soupir lasse puis me lève et vais la rejoindre dans la cuisine. Je passe mes bras autour de sa taille et pose ma tête sur son épaule. 

- Tu n'es pas une vieille peau. Tu es mon petit ange gardien. On s'en fiche du reste, j'affirme en souriant et en lui plantant un petit baiser sur sa joue claire. 


This Is Not A Disney -J.JK.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant