VIII

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Mon corps fait face à celui du directeur qui est en train d'analyser la carte des menus dans ses moindres détails comme si c'était la courbe de flux de la Korea Exchange. 

J'ai envie de dire que je ne souhaite pas voir le serveur brun aux mille et un jobs, mais c'est faux. Je veux vraiment qu'il s'occupe de notre table. Pathétique, n'est-ce pas? Je me désespère... Mais ce n'est pas lui qui vient nous voir, plutôt une quarantenaire aigrie qui me fait bien comprendre qu'en tant qu'étrangère je n'ai rien à faire dans ce restaurant, ni d'être en face du bel homme coréen qui me sert de patron. Je me lève finalement, exaspérée par ce comportement, puis me dirige vers les toilettes après m'être excusée envers Monsieur Park. Ce dernier me fait signe que ce n'est rien, alors je rentre dans les toilettes et m'enferme dans un des cabinets. Mes mains viennent retrouver mes mèches de cheveux. Est-ce que venir ici était une bonne idée? Il faut se rendre à l'évidence, je ne serai jamais intégré dans ce pays. Mais je ne voulais pas partir... Rien que d'y penser, j'ai envie de pleurer. 

Dix minutes plus tard, je suis toujours aux toilettes, mais je n'arrive pas à me relever. Mes genoux s'écorchent un peu contre le carrelage jaune pâle et blanc qui recouvre le sol et qui contemple mon malheur. Je ne suis pas du genre à craquer n'importe où et n'importe quand. En fait, je ne suis pas du genre à craquer tout court. Mais je pense que la fatigue commence à embrumer mon cerveau surchauffé. Quelques gouttes d'eau salée franchissent mes paupières et viennent s'écraser près de mes genoux. Certaines roulent dans mon décolleté, d'autres s'accrochent à mes mèches de cheveux en désordre. 

- Mademoiselle? Votre petit-ami m'a demandé de venir vous chercher. Est-ce que tout va bien? retentit la voix charmante et jeune d'une femme. 

- Il... Peu importe, oui, tout va bien, lui répondis-je avec néanmoins quelques sanglots dans la voix. 

- Vous en êtes sûre? 

- Oui, j'arrive, merci. 

- Bien. 

J'entends la porte des toilettes se refermer délicatement alors que je lâche un dernier petit sanglot. Bon, voilà, c'est le dernier. Maintenant, je vais me relever et accrocher un magnifique sourire à mes lèvres recouvertes de gloss. Rien ne s'est passé. Je vais oublier tout ça et retourner en salle pour parler de ce fichu contrat plus que vague avec mon patron. 

Tout. 

Va. 

Bien.

                                                                    ***

J'en suis à la quatrième gorgée de mon troisième verre mais une sensation étrange prend d'assaut mon esprit et mon ventre. Je ne peux pas être déjà soule, je tiens plutôt bien l'alcool, mais alors qu'est-ce que c'est? La tête me tourne et je n'arrive plus à penser normalement alors que mes paupières essaient de se fermer toutes seules. J'aperçois néanmoins Monsieur Park claquer des doigts devant mes yeux qui voient troubles, puis il se lève et passe mon bras autour de ses épaules. Je suis incapable de penser normalement alors, quand mon directeur m'amène jusque dans la ruelle qui borde le restaurant, je n'y vois aucun inconvénient. Même si sa voiture est à l'exact opposé.

- Mademoiselle Klein? l'entendis-je faiblement prononcer. 

- Un poisson, fut la seule chose qui me vint à l'esprit. Il y a un poisson doré dans le ciel... Effectivement, je suis sûre de moi quand je dis qu'il y a un poisson de couleur dorée près du nuage en forme de cadeau d'anniversaire. 

Je n'en peux plus, j'ai l'impression que mon corps menace de lâcher d'une seconde à l'autre. Mais mon inconscient me hurle de ne pas céder à la tentation du gouffre sombre qui m'appelle, qui me tire de ses bras gluants. 

Cependant, la dernière chose que j'ai vu avant de sombrer dans le néant était la figure colérique de mon serveur brun qui se jetait de toutes ses forces sur mon directeur.

                                                                            ***

J'ai dû me réveiller puis me rendormir à peu près cinq fois depuis le dîner qui s'est déroulé il y a... hm... combien de temps exactement? Je ne me souviens même plus de ce qu'ils s'est passé. Je suis simplement sortie des toilettes, ensuite je suis allée manger mon Bibimbap... j'ai bu quelques verres... puis plus rien. Oh mon Dieu, qu'est-ce que c'est frustrant! J'ai l'impression que tout m'échappe, c'est comme vouloir attraper de l'eau entre mes mains. 

Et puis je suis où là!? J'ai beau ne pas avoir les yeux ouverts, je sens bien que la chose sur laquelle je suis allongée n'est pas le matelas de mon lit. Mes paupières s'ouvrent lourdement alors que mes yeux découvrent l'environnement qui m'entoure. 

Mais où suis-je?

Je me soulève difficilement sur un de mes coudes et détaille la pièce dans laquelle je me trouve. Ca m'a tout l'air d'être une chambre assez confortable... 

Je suis allongée sur un grand lit au milieu d'une pièce aux proportions imposantes. Tout ce qui est présent dans cette chambre est dans les tons sombres, les tapisseries aux murs, le tapis, le sol, les meubles, absolument tout. Cela donne un aspect assez effrayant et morbide. En plus, il fait vraiment froid, ici. 

Comment ai-je fait pour me retrouver ici? 

Des coups sourds résonnent contre l'épaisse porte en bois foncé, puis le battant s'ouvre sur la personne. Je ne vois pas sa figure à cause de l'obscurité ambiante, mais lorsque la lumière illumine la pièce, ma respiration se coupe tandis que mon corps se fige. 

C'était lui. 

Monsieur-j'ai-quarante-mille-jobs. 

Il s'approche de moi puis s'accroupit et pose délicatement ses mains sur mes genoux. 

- Tu te souviens? me chuchote t-il. 

De quoi est-ce qu'il parle?

- C'est pas vrai... tu te rappelles de rien... lâche t-il frustré en se passant encore une fois la main dans ses ondulations brunes. 

- Mais de quoi est-ce que vous parlez? m'énervai-je.

- Mais... De hier soir! 

- Il va me falloir un peu plus de détails, fis-je en croisant mes bras sur mon ventre. 

- Hier soir, t'étais au resto avec ton copain... fin, si on peut appeler ça un copain. Le mec, pendant que t'étais aux toilettes, je l'ai vu verser un truc dans ton verre. Mais je me suis dit que tu devais être malade ou quoi, je sais pas, vu que t'étais parti aux toilettes, ça pouvait être un médicament. Du coup, je suis reparti faire mes affaires. Mais quand j'ai vu que t'as commencé à pas te sentir trop bien et que ton "copain", il mime les guillemets de façon exagérée, t'as amené, je me suis dit qu'il fallait quand même que j'aille vérifier. Et j'ai bien fait, je crois... Regardes dans quel état t'es, sérieux... Le brun se passe une main lasse sur le visage.

Je ne sais trop comment réagir. J'hésite entre incrédulité et... colère? Comment et surtout pourquoi mon patron aurait fait ça? Rien qu'effleurer l'idée est risible. Mais après tout... Je ne le connaissais pas, et les apparences sont parfois trompeuses. Oui, mais comment croire ce brun alors que je suis actuellement dans un endroit louche que je ne connais pas? Cette pensée-là est risible aussi... 


This Is Not A Disney -J.JK.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant