Le tapis qui avance et avance encore pour nous rendre nos valises me donne le tournis. J'ai l'impression que le mouvement lent et régulier du mécanisme va se transformer en tourbillon. Un tourbillon de valises et de sacs de toutes formes et couleurs.
Je m'éloigne à la hâte pour m'asseoir sur le premier banc venu. Quelques secondes de plus et je tombais là, sur le sol collant et poussiéreux d'un aéroport trop fréquenté. Je respire un grand — très grand — coup et je bois quelques gorgées de ma bouteille d'eau qui n'est plus très froide. Ne fais pas ta mauviette, Madee, lève-toi et marche, je pense. Je me remets sur pieds, décidée que cette ville oppressante où l'air est irrespirable ne m'aura pas aussi facilement.
Quand nous arrivons dans le parking couvert de l'aéroport, deux voitures s'éclairent de part et d'autre. Un 4x4 noir, tellement énorme et imposant que s'il me frôle, je meurs. Et une berline d'un rouge pétant qui me tape tout de suite dans l'œil, tellement elle est belle. Je comprends en voyant mes parents s'approcher de ces deux véhicules, qu'ils sont à présent nôtres. On avait déjà deux voitures en Suisse, qu'est-ce qu'elles vont devenir ?
— Et vos voitures, en Suisse ?? je demande à mes parents.
— On les a fait venir, elles arrivent dans quelques jours. Passe ton permis, et la rouge sera à toi, lance mon père.
Je réponds d'un sourire. Si mon père a décidé qu'une Audi à soixante-quinze mille dollars serait ma première voiture, j'ai intérêt à le gérer, ce permis de conduire. Finalement, il me fait peut-être un peu confiance.
Une vingtaine de minutes de voiture plus tard, nous nous arrêtons devant une villa qui, comme je m'y attendais, semble immense. Mes parents me font faire la visite avant que nous ne nous installions.
En gros : trois chambres, quatre salles de bain, des baies vitrées à n'en plus finir — j'aime ça plus que tout, la lumière —, du blanc à peu près partout, des écrans plats dans presque chaque pièce — alors que mes parents ne regardent jamais la télé —, une gigantesque bibliothèque, une piscine enterrée et une vue imprenable sur la mer. Maison de 250 mètres carrés, terrain de 330 mètres carrés.
Bienvenue dans mon nouveau chez moi, le bijou de Cloy Avenue. Mon père aime se dire qu'il a acheté LA maison de Venice, celle qui fait baver tous les passants et que nous avons réussi à obtenir.
Ahh, mon père et son égo.
Je choisis l'une des chambres avec vue sur mer et je m'y installe en quelques heures. Puis, épuisée par le voyage, le décalage horaire et mon activité des derniers instants, je m'écroule sur mon lit. Un œil sur mon téléphone me confirme que je n'ai aucun message. Pas d'ami qui s'assure que je suis bien arrivée : il est cinq heures en Suisse alors qu'il est vingt heures ici. Pas d'ami qui soit encore réveillé à cette heure-ci. Pas d'ami qui habite au même endroit que moi. Plus d'amis auprès de moi.
Il est vingt heures quinze et je n'ai rien mangé depuis quatre heures trente du matin, pourtant je n'ai pas faim. J'ai avalé un croissant — probablement le dernier vrai croissant pour des années — et un chocolat chaud géant avant d'embarquer. La nourriture de l'avion m'a donné envie de vomir plutôt que de me donner faim. Mes parents sont partis au restaurant pour fêter notre déménagement, je leur ai dit d'y aller sans moi. Je préférerais aller plonger dans la mer là tout de suite que de manger quoi que ce soit. Mais j'opte pour la troisième proposition : je m'endors.
Même si je n'ai aucune envie d'être dans cette ville surchauffée, je ne veux pas me résoudre à rester enfermée chez moi. Il y a un tas de choses à faire et à voir et en premier lieu : la plage.
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Les rencontres inconnues - sous contrat d'édition (Les Trois Colonnes)
RomantizmMadee en veut à ses parents. Elle déteste avoir été prévenue de son déménagement à l'autre bout du monde seulement trois mois à l'avance. Tout son monde se voit bouleversé. Passer de la Suisse à la Californie, du français à l'anglais, d'un trio de m...