La course

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Comme chaque matin, ma mère ouvrit la fenêtre de ma chambre en grand et tira ma couette au pied du lit. Vêtue d'une légère chemise de nuit, la fraicheur hivernale ne tarda pas à piquer ma chair. Je décidai de patienter jusqu'à ce qu'elle redescende dans sa cuisine. Ne pas bouger, ne pas réagir face à l'inconfort, cela faisait partie de mon rituel. qu'en ne réagissant pas immédiatement à ses sollicitations, en ignorant ce qu'elle attendait de moi – c'est-à-dire que je me lève illico –, allait finir par lâcher prise. L'esprit encore en sommeil, je me levai péniblement, enfilai mes vêtements et m'assis au pied du lit. Une boule d'angoisse avait déjà fait son apparition au creux de mon ventre. L'idée de devoir passer une nouvelle journée à la maison m'était chaque jour plus difficile.

— Hé Mary.

Il me semblait avoir entendu mon père héler mon nom. C'était inhabituel, lui qui d'habitude restait silencieux. Il ne s'adressait jamais directement à moi mais demandait d'abord son avis à ma mère, laquelle, si elle jugeait la demande pertinente, reformulait ses paroles à mon attention. Je tendis l'oreille mais aucun son ne me parvint. La nature était étrangement calme, les sons de la ville paraissaient ouatés, dépourvus de toute réverbération.

— Hé Mary, viens voir à la fenêtre.

Pas de doute, c'était bien la voix de mon père. Intriguée, je me dirigeai vers l'embrasure. Je fus éblouie pas le spectacle qui s'offrit à moi. Durant la nuit, une couche de neige de près d'un mètre s'était accumulée. Les tuiles rouges des toitures avaient laissé place à une couverture blanche, les branches pliaient à se rompre, les fumées des cheminées se confondaient avec l'horizon laiteux. Les couleurs du paysage qui s'étendait devant moi avaient disparu. Jamais je n'avais vu pareil spectacle. Mais le plus étonnant se trouvait dans la cour. Mon père se tenait fièrement à côté d'un bonhomme de neige aussi grand que lui. Il me fit signe de descendre. Dans l'instant, je dévalai l'escalier, un sourire jusqu'aux oreilles.

— Po po , où crois-tu aller comme ça ?

Ma mère m'attendait. Un rictus de satisfaction accroché à ses lèvres ne laissait aucun doute quant à l'issue de ma course. J'eus la faiblesse d'oublier un instant ses turpitudes, le coup n'en fut que plus brutal.

— Tu n'as pas oublié que tu dois faire tes devoirs ? Ton niveau scolaire est lamentable, tu le sais, j'imagine que tu sais ce qu'il te reste à faire ?

— Oui maman.

Je remontai dans ma chambre pour tenir compagnie à mes livres de classe.

Ainsi commença et s'acheva la matinée. Le repas de midi fut l'occasion pour ma mère d'expliquer à mon père que sa fille n'avait même pas pris la peine de mettre un pied dehors, que j'avais snobé son œuvre et m'étais enfermée dans ma chambre pour faire je ne sais quoi. Je mais le souvenir de ma dernière correction réfréna mon désir de révolte.

— Alors puisque c'est comme ça, tu resteras dans ta chambre cet après-midi et gare à toi si elle n'est pas rangée et si tes devoirs ne sont pas faits. Quant à la luge...

Je n'osai lever les yeux.

— Tu me regardes quand je te parle ?

Je la regardai.

— , quant à la luge que tu nous a demandé de t'acheter, nous n'avons pas les moyens, tu le sais, ton père travaille dur pour t'offrir tout ce que tu as. Il t'a appelée et tu n'as même pas été voir ce qu'il a fait pour toi dans la cour. D'ailleurs, je suis certaine que tes copains de classe ne sont pas aussi gâtés que toi.

Elle m'observa un instant puis ajouta :

— Et ne me regarde pas comme ça avec ton air de défiance.

Une femme incoloreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant