Résurgence

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— Je suis désolé, je crois bien que je vous ai effrayée, s'excusa Akio.

Il se tenait face à moi. Ses yeux bleus presque translucides tranchaient toujours autant avec ses cheveux noir ébène. Une mèche rebelle cachait une partie de son front. Il était vêtu d'un costume noir taillé sur mesure et, chose étonnante, de chaussures en cuir bleu.

— Ça fait près de vingt ans qu'on se connaît, je crois que tu peux me tutoyer.

— Dix-neuf si ma mémoire ne me fait pas défaut. Je me demandais si tu allais appeler. Nous ne nous sommes pas vus depuis de nombreuses années, il aurait été normal que tu m'aies oublié.

Sa réponse me surprit. Comment aurais-je pu l'oublier après la nuit passée au Bergheim ?

— Tu m'as pourtant offert un verre.

— Et c'est tout juste si tu m'as adressé un regard. J'étais persuadé que tu n'avais pas compris qui j'étais.

— En effet, je pensais que j'avais affaire à l'un de ces séducteurs de discothèque que l'on croise par dizaines à chaque soirée et qui ne pensent qu'à tirer leur coup.

Akio haussa les sourcils, sa surprise paraissait sincère. Mais il ne se délita pas. Sa stupeur laissa place à un sourire franc, il enchaîna :

— Tu sais mettre les gens à l'aise toi.

Il m'observa un instant, je restai silencieuse. Il fut le premier à poursuivre.

— J'ai quitté une fille timide et introvertie, je retrouve une femme de pouvoir et sûre d'elle. Le changement est pour le moins radical.

— Dois-je prendre ça pour un compliment ?

— Tu peux.

— Merci.

Son image me revint à l'esprit, il devait avoir une douzaine d'années, emmitouflé dans son anorak. C'était en hiver, nous montions une pente enneigée.

— Tu préfères que l'on reste ici pour nous affronter ou nous nous rendions dans un endroit plus approprié ? Je connais une salle de sport tout près d'ici qui dispose d'un superbe ring de boxe. On y sera bien, tu verras.

Je le regardai écarquillant les yeux. Un sourire malicieux s'étira sur son visage. Il haussa les sourcils à plusieurs reprises, déformant son visage de manière grotesque. J'éclatai de rire.

— Emmène-moi où tu veux, mais pas dans cet horrible endroit que tu m'as suggéré.

— Le Wan Chai, un horrible endroit ? Nous parlons bien de la même chose ?

— Je pense oui, c'est trop tout, trop formel, trop pompeux, j'aurais l'impression que tu cherches à m'acheter.

— C'est un peu tape-à-l'œil, je l'admets mais tu te trompes lourdement sur un point.

— Je t'écoute.

— Je ne cherche pas à t'attirer dans mon lit.

— Je ne te plais pas ?

— Là n'est pas la question, nous venons à peine de nous retrouver. Comment pourrais-je imaginer, à moins d'être quelqu'un dépourvu d'un minimum de savoir vivre, n'avoir qu'une idée en tête, celle de te mettre dans mon lit ?

J'étais déstabilisée, ses propos ne laissaient en rien paraître qu'il s'était passé quelque chose entre nous. Je n'osai lui poser la question frontalement. De quoi aurais-je eu l'air ? Et si je me trompais ? L'accusation était terrible et ne pouvait pas être lancée à la légère. Alors que je pensais que cette rencontre allait me permettre de lever un voile sur les événements qui hantaient mon esprit, voilà que je doutais encore davantage. Je ne parvenais pas à m'empêcher d'être odieuse. Mon cœur était en ébullition, mon corps tout entier réclamait cet être qui était devenu l'objet de mes fantasmes. Je l'avais observé tant de fois en silence sans jamais oser lui adresser la parole. Il avait abreuvé pendant des années mes désirs les plus fous. Aujourd'hui, il était à portée de main et je m'éloignais.

Une femme incoloreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant