Le coq

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Je ne crois pas avoir jamais manqué un seul jour de classe. La plupart du temps, je restais assise sur un banc, parfaitement immobile au milieu de mes camarades. Je me comparais aux livres soigneusement rangés sur l'étagère du fond et que l'on avait fini par oublier. Je ressemblais à une élève ordinaire et rien en apparence ne me distinguait de mes camarades. Pourtant j'étais bel et bien différente. Mais cette différence était si subtile, si abstraite que je doutais parfois qu'elle fit de moi une fille à part.

Je n'étais pas une meneuse, je ne faisais partie d'aucun groupe, je n'étais pas populaire. On ne pouvait pas dire de moi que j'étais une rebelle ou que je cherchais à attirer les regards en me démarquant des autres. J'étais juste absente. Bien sûr, je n'étais pas encore en mesure de saisir toutes les nuances de cette particularité. Je me rendais bien compte que tous les enfants jouaient, riaient et couraient tandi . C'est à cela que je passais mes journées, à regarder les autres vivre, c'était alors ma seule préoccupation. Je cherchais à , par exemple, pourquoi les enfants de mon âge jouaient et semblaient en tirer . Je n'éprouvais pas le moindre désir ni à courir après un hypothétique pour en faire mon prisonnier ou renvoyer un ballon à un camarade. À quoi bon ? J'estimais que l'observation était bien plus enrichissante que de participer à l'expérience elle-même. Dans la cour de l'école, je m'asseyais durant des heures sur margelle en pierre de grès l'entrée de la salle de classe. Depuis mon poste d'observation, je pouvais embrasser d'un seul regard l'intégralité de la cour et étudier les différents comportements en un minimum de temps. Je laissais aux autres l'expérimentation des jeux que j'estimais vains et sans intérêts. Je forgeais ma propre expérience d'enfant à travers les des autres.

En classe, je passais mon temps à tenter de comprendre que pouvait représenter la réalisation d'un exercice imposé, plutôt que de m'atteler à le réaliser. Une fois mon raisonnement établi, j'abandonnais la page blanche sans même avoir touché à un crayon et dirigeais mes pensées vers un autre sujet. À quoi bon répondre aux requêtes de l'institutrice puisque le but était déjà atteint ? Bien , elle ne l'entendait pas de cette oreille et je me faisais réprimander. Au lieu de , je en silence, ce qui avait pour effet de l'énerver .

Alors que les autres enfants levaient frénétiquement doigt pour donner la réponse à une question posée, je me contentais de les observer sans bouger. Pour moi, la réponse coulait de source. J'avais déjà anticipé sur la pertinence de ladite question et me sentais investie par la nécessité de pousser la réflexion jusqu'à en comprendre les tenants et . Bien sûr, je ne communiquais jamais le résultat de mes investigations car, la plupart du temps, cela passait pour de la prétention aux yeux de mes camarades et de l'arrogance auprès de mes professeurs. Ainsi, compris très tôt que si je ne voulais pas être ennuyée, il me fallait garder le silence.

Au grand désespoir de mes , j'accumulais les mauvaises notes et les remarques alarmistes du corps enseignant. Je ne pouvais me contenter de répondre aux énoncés et contourner les leçons apprises pour en proposer une autre approche, ce qui évidemment n'était pas du goût de mes professeurs. J'avais droit à ma ration quotidienne de punitions pour mon comportement jugé hors norme. Je ne comprenais pas l'acharnement avec lequel les adultes cherchaient faire de moi un clone social. J'étais moi, j'avais le sentiment de connaître tout ce que l'on cherchait à , alors pourquoi changer ? D'autant que je ne posais aucun problème sur le plan de la discipline, du moins c'est ce que je pensais. Continuellement plongée dans mes pensées, j'étais considérée comme une élève . Il m'arrivait fréquemment de ne pas entendre les autour de moi, trop absorbée par ma réflexion sur le monde et son fonctionnement. J'étais fréquemment punie pour des motifs que . Mon air ahuri fut souvent pris pour de la provocation. Je regardais la plupart du temps mon entourage avec étonnement, ne saisissant pas ce attendait de moi. On me posait des questions, on me parlait, j'étais ailleurs, on me réprimait, je n'y comprenais rien. Je suis ainsi rapidement devenue la tête de turc idéale, pour les institutrices que pour les enfants de mon âge. Je ne contredisais personne, j'encaissais, sans ciller, tout comme je le faisais en présence de ma mère.

Une femme incoloreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant