Classe de neige

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La cour du collège me semblait ridiculement petite. Je venais d'entrer en classe de quatrième et constatai que le bâtiment réservé aux deux années me séparant du lycée était d'une austérité déprimante. En cette année 1989 et après un troisième déménagement en quatre ans, je me retrouvais à nouveau en terrain inconnu. Je n'étais pas particulièrement douée pour me faire de nouveaux amis. Chacun de ces changements était pour moi un véritable bouleversement ; intégrer un nouveau groupe d'élèves me demandait un effort considérable. Je ne connaissais personne et plutôt que tenter de nouer des contacts, je préférais me poser sur un banc pour me placer dans mon attitude favorite, celle de spectatrice.

J'avais trouvé un emplacement idéal, à l'ombre d'un grand saule, à l'écart de toutes les grappes de collégiens. Ce poste d'observation me permettait d'embrasser toute la cour seul regard. L'arbre qui se penchait sur moi semblait vouloir me dire « Tu n'as rien à craindre, tant que tu seras là, je te protégerai ». Je décidai d'en faire mon ami. Le bruissement de ses feuilles ressemblait au son minuscules crécelles. Ce bruit discret agissait sur les intrus nommés élèves comme un avertissement. Je restai ainsi seule sous la protection de mon garde du corps feuillu jusqu'à l'annonce de l'entrée en classe.

Nous dûmes nous asseoir par ordre alphabétique. Je me retrouvai installée vers le fond de la salle du côté de la fenêtre, ce qui n'était pas pour me déplaire. De là, j'apercevais mon compagnon vert trônant dans la cour et agitant ses branches. Il semblait me faire des signes.

Mon voisin de table s'assit à son tour.

— Salut, fit-il en saisissant sa chaise.

— Salut, répondis-je tout en continuant à observer la cour.

— Akio.

— Quoi Akio ? fis-je sans tourner la tête.

Je regrettai instantanément le ton vindicatif de ma réponse.

— Akio, c'est mon nom, fit-il avec une douceur redoublée, et toi, comment tu t'appelles ?

— Ah, euh, fis-je en baissant le regard qui tomba nez à nez avec mes chaussures, Mary.

Mais quelle quetsche je faisais, pour une fois que quelqu'un m'adressait la parole sans qu'il y soit forcé, voilà que je fichais tout par terre. J'aurais voulu lui faire comprendre que s'il avait été un pauvre minable, je ne m'y serais pas prise autrement. Pourquoi diable n'arrivais-je jamais à aligner deux mots ? Je ne l'avais même pas regardé, je m'étais vaguement adressée à une forme, trop frustrée d'avoir été tirée de ma contemplation de mon ami l'arbre. Je choisis néanmoins de réagir et pour commencer, je me tournai vers lui.

Des images surgirent en moi et inondèrent mes papilles de sucre et de chocolat. Cette fois, je décidai de faire un effort, je ne pouvais pas laisser passer une occasion qui ne se renouvellerait peut-être pas.

— On ne s'est pas déjà rencontré quelque part ?

— Ça, ça m'étonnerait. Je passe mon temps devant mon ordinateur, je ne sors jamais.

Un coup de massue vint s'abattre sur ma tête. Je l'avais bien .

— Non non, je pensais plutôt à il y a quelques années, répondis-je, j'ai vraiment l'impression qu'on se connaît.

— Sais pas, fit-il en haussant les épaules.

— Je viens de déménager, tu habites où ?

— Ici.

— Quoi, dans le collège ?

Akio secoua légèrement la tête tout en levant les yeux au plafond.

Une femme incoloreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant