Le retour du roi

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Je tenais la carte de visite dans les mains. J'étais partagée entre la nécessité de savoir et celle d'enfouir définitivement le souvenir de Bergheim dans les méandres de ma mémoire. Je savais pourtant que j'en étais incapable. Le sentiment d'avoir rêvé allait grandissant au fur et à mesure que le temps passait. Avait-il versé une drogue dans ma coupe de champagne, et si tel était le cas, pourquoi aurait-il agi ainsi ? Je chassai cette dernière hypothèse de mon esprit. Je savais que si elle s'avérait exacte, c'est tout un pan de mon enfance et de mes fantasmes qui s'en trouveraient ébranlés. Je brûlais d'envie de l'appeler. J'avais attendu tant d'années, je ne pouvais pas croire qu'il se soit transformé en un prédateur sexuel. Le risque de me confronter à des désillusions était grand.

Le téléphone sonna. C'était Nikolay.

— Enfin j'arrive à t'avoir, nom d'un chien, Mary, mais où étais-tu ? Ça fait deux jours que j'essaie de te joindre.

— Désolée.

— Désolée ? Mais tu te rends compte que des négociations sont sur la table et que l'on doit rencontrer ce connard de Brocolis ? Il ne va pas nous louper. Tu te souviens, Brocolis, l'acheteur de la centrale d'achats de Mage & Leprince ?

— Ça va, ça va, n'en rajoute pas. Et puis il s'appelle Boscoli. Je marquai une courte pause puis repris tout en expirant bruyamment. Je m'excuse, ça te va comme ça ? Je suis partie sur une île pour me changer les idées.

— Non, ça ne va pas, tu pars prendre des vacances alors que des millions sont en jeu. Chiotte, il y a de quoi être en pétard.

— Écoute, il n'y a pas de quoi s'affoler, je te rappelle que si je suis ici c'est pour tenter d'étouffer l'incendie. Je n'ai jamais fait prendre de risques inconsidérés à l'entreprise et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer.

— Mouais. On se voit quand ?

— Dans une heure, au Rio bar.

Je raccrochai, soupirai. Je fis passer la carte de visite entre mes doigts tout en regardant le mur d'en face.

Je reconsidérais les événements. Le soir, j'ai eu plusieurs orgasmes, c'est un fait indéniable. J'ai été excitée et j'ai pu le vérifier. Une excitation malsaine peut-être mais une excitation quand même. Trois questions restaient en suspens : avais-je réellement eu des rapports avec Akio ou était-ce le fruit de mon imagination ? Deuxième question, comment sa carte a-t-elle pu arriver dans mon sac ? Enfin, si rapports il y a eu, je n'ai détecté aucune trace de sperme et je ne me souviens pas l'avoir vu mettre un préservatif.

J'avais beau rester pragmatique, un malaise me gagnait petit à petit. Mon corps n'était pas en accord avec ma tête, l'un m'ordonnait de l'appeler, l'autre de fuir. Et puis qu'allais-je bien pouvoir lui dire ? « Tiens, salut Akio, dis-moi, est-ce que tu m'as droguée et prise comme un sauvage l'autre soir ? » Je m'emparai de mon téléphone et écrivis à la hâte.

MARY 10 : 10 : Bonjour Akio, c'est Mary

AKIO 10 : 11 : Rendez-vous ce soir 22 h au Wan Chai

La réponse me laissa perplexe.

***

— Le Wan Chai ? Ça va, il ne se fiche pas de toi le bonhomme, c'est le temple du kitch mais il s'agit quand même du restaurant d'un palace.

Nikolay était enthousiaste, il ignorait tout de l'épisode du Bergheim et je n'avais pas l'intention de lui dire quoi que ce soit à ce sujet.

— Une coupe, s'il vous plaît, fit Nikolay à l'attention du serveur. Et un daïquiri pour madame. Tu es toujours amatrice de daïquiri ?

Une femme incoloreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant