𝟶. 𝙵𝚒𝚕 𝚍𝚎 𝚜𝚘𝚒𝚎

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Fil de soie

     Probablement était-il tard, oui, bien tard, mais il n'était plus question de probabilité pour ce qui était d'affirmer que la nuit était sombre déjà, bien sombre. Le bruissement des feuilles semblait transmettre les geignements plaintifs du sous-bois, comme déjà conscient de ce que l'avenir proche lui réservait. Le croissant de lune, haut, très haut dans le ciel, semblait si fin, si fragile que la moindre brise aurait sans doute pu le briser en deux, à supposer que le souffle d'Eos ne parvienne à l'atteindre, depuis son perchoir.

     Et sous le ciel tapissé d'étoiles pour le moins timides, à peine scintillantes, de hautes silhouettes encapuchonnées, aux mains en putréfaction, au visage décharné duquel seule ressortait une bouche béante laissant échapper de longs râles d'agonie, semblaient engagées dans un ballet des plus funestes. Si un froid mortuaire ne s'était pas abattu sur la clairière, si les souvenirs les plus terribles n'avaient pas été les seuls à perdurer, broyant sans peine les quelques bribes de joie subsistante, oui, peut-être cette danse presque silencieuse, cette valse fantomatique aurait pu dégager quelque chose de poétique, de mélancolique.

     Peut-être. Mais les mauvais souvenirs, les pires images que la vie avait pu fournir, tourbillonnaient trop vite, trop fort, trop bruyamment pour que la funeste beauté de la scène ne puisse embrumer les pensées, saisir le cœur, figer l'air dans les poumons. Seules l'horreur, la peine et la tristesse ne parvenaient à se frayer un chemin, entre les méandres tortueux des pensées.

     Ah, çà, la lune était presque invisible, cette nuit-là, incapable de crever la noirceur des ténèbres, incapable de bercer de ses rayons argentés les quelques insomniaques encore éveillés, incapable d'insuffler la moindre étincelle d'espoir dans le cœur de celle qui lui jetait un regard meurtri, vide, presque déjà mort, dans une quête vaine d'un tant soit peu de sens.

     Et celle dont le regard était meurtri n'en avait pas que le regard. Le cœur, le corps, l'âme. Ces ongles qu'elle avait rongé jusqu'au sang. Ces yeux rougis d'avoir tant pleuré. Ces paumes léchées par les flammes. Cet esprit lacéré par l'horreur. Ces pieds entaillés par le chemin escarpé qui l'avait conduite en ces lieux reculés, oubliés de tous. Bientôt, cela ferait presque un demi-siècle qu'elle souillait de ses pas la surface de la Terre et pourtant, pourtant ! malgré cette espérance de vie des plus ridicules pour une sorcière de son statut, elle avait la sensation d'avoir vécu déjà mille ans. Mille ans pour mille vies arrachées.

     L'une des silhouettes la frôla dans un profond râle, aspirant toute vie qui pouvait l'être et devant ses yeux défilèrent le sang, la mort, les cadavres qui s'amoncelaient. Dans ses tympans résonnèrent les supplications, les hurlements de douleur, les insultes. Un violent haut-le-corps lui secoua l'estomac et elle tomba à genoux, les mains plaquées sur ses oreilles alors qu'un cri que personne jamais n'entendrait jaillissait de ses cordes vocales.

𝙻𝚊 𝚏𝚒𝚗 𝚍𝚎 𝚕'𝙰𝚞𝚋𝚎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant