Brother

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Brother de Kodaline colle parfaitement à la mélancolie de ce chapitre...

Refroidie par l'apparition glaciale de Shawn, l'ambiance du dîner est loin d'être chaleureuse.

Maman et Ellen font de leur mieux pour combler le vide en radotant sur leurs souvenirs de jeunesse .
Je profite de ce moment de flottement pour détailler les gens autour de moi . À part les légers signes de vieillissement s'accumulant sur le visage de nos parents , rien ne semble avoir vraiment changé. Je pourrais bien croire que le temps s'est figé le temps de quelques années, si Shawn était resté le Shawn que je connaissais : un garçon rusé, hilarant, brave, et plein de vie , aux joue rondes et aux yeux espiègles .

Malgré ses fâcheuses tendances à faire des blagues tout le temps, partout, et à tout le monde, (ce qui lui apportait souvent des problèmes), c'était quelqu'un de très câlin et chaleureux .
Il se jetait à mon cou systématiquement avant . Là , c'est à peine s'il m'a jeté un regard... Comme si j'étais une inconnue méprisable qui ne méritait pas son attention .

Plongée dans mes tristes pensées, je n'ai pas entendu la conversation décoller et l'attention  se reporter sur nous .
-Alors comme ça, vous êtes ensemble depuis seulement deux semaines ? demande Ellen enthousiaste .

Ne voulant pas trop m'épancher sur la question, je regarde Daniel en espérant qu'il réponde à ma place .
Mais ce petit filou comprend ce que j'essaye de faire .
C'est donc tout naturellement qu'il pose son menton aux creux de sa paume , sort son plus beau sourire et s'exclame dans ma direction :
-Deux semaines ? Tu es sûr que ce n'est pas moins ?
Et voilà le travail! Il a réussi son coup, et avec brio !Cette fois tous les regards sont sur moi et je suis coincée...

-Si si , ça fait bien deux semaines . Mais pour tout vous dire , j'ai bien cru que ça ne viendrait jamais... finis je par répondre, tout en lui lançant un de ces regards qui veut dire :
Prépare toi ! Dès qu'on sors d'ici, je t'arrache la tête et/ou tes vêtements tant qu'à faire !

- Et moi donc ! S'écria ma mère . Quand tu m'as demandé conseil , j'ai eu peur que tu ne te lances jamais . C'était comme quand tu avais cinq ans , tu pleurais parce que tu ne voulais pas qu'il reparte chez lui après l'école !

Daniel pouffe dans sa barbe en entendant ce vieux souvenir un poil embarrassant .

Mais que voulez-vous ? J'avais cinq ans !
Une vengeance s'impose . Et je ne trouve rien de mieux qu'une bonne vieille pichenette dans la cuisse .
Daniel l'évite mais je n'abandonne pas comme ça . Sous la table , une vraie bataille fait rage !Nous nous chamaillons comme des enfants mais personne ne semble s'en rendre compte, trop occupé à ressasser nos souvenirs d'enfance.

Les « Ah ! Et vous vous souvenez quand... » et les « Le jour où ils... »envahissent peu à peu toutes les bouches .
L'ambiance paraît joyeuse mais alors que je lançais mon ultime assaut en direction de son genoux , le prénom d'Aimee retenti .

« Et vous vous souvenez quand Aimee les a... »
C'est ce que mon père a dit avant que les rires ne s'estompent .
Je vois bien qu'il se mord la langue pour avoir dit le mot de trop .

-Pardon Ellen , je...
-Ça ne fait rien . lui sourit elle . Tout ça planait au dessus de nous depuis le début de la soirée.

-« Tout ça » ?! C'est comme ça que tu appelles la mort de ton mari et de ta fille ?!

La voix de Shawn s'élève comme sortit de l'obscurité.
Tout chez lui n'est plus que cruauté et amertume. J'en ai du mal à le reconnaître, et j'ai peur de ce qui va se passer maintenant.

Ellen tente de détendre son fils comme elle peut . Mais il reprend, plus énervé encore:

-Vous savez quoi ? Parlons du vrai sujet ! Pourquoi fait-on comme si tout était comme avant, alors que notre cher Daniel nous a tous abandonné au pire moment ?

La tension monte d'un cran . Je peux voir l'appréhension dans les yeux de mes parents , la détresse dans ceux d'Ellen, mais ce qui m'inquiète le plus, c'est que je ne vois rien dans ceux de Daniel .
Il reste de marbre , stoïque et muet comme si l'implosion de son frère ne le touchait pas plus que ça .

Alors que tout le monde retient sa respiration, mon petit ami pose calmement ses mains sur la table et prononce d'une voix ferme :
-C'est en restant là que je vous aurais abandonné. Crois moi , j'aurais voulu que ça se passe autrement mais partir était la seule solution pour moi .

La confession de sa tentative de suicide me revient soudain en mémoire comme une décharge électrique. Et le mot « abandonné » prend alors tout son sens...

-Oh ! Monsieur ne se sentait pas bien c'est ça ? Mais monsieur n'avait pas à soutenir sa mère au fond du gouffre tout seul , tout en faisant son propre deuil !
Tu étais mon grand frère , c'était ton rôle d'être là pour rassembler les morceaux de notre famille brisée , d'être le roc qui nous ferait tenir debout . Tu parles ! Tu m'as laissé pourrir ici tout seul !! Hurle t'il comme possédé par la douleur elle-même.
Mais cet appel à l'aide n'était rien à côté de celui de son frère :
-Mais toi tu n'avais pas leurs morts sur la conscience !

Le cri survient et choque tout le monde de par son intensité. 
À présent réincarné en lion sorti de sa cage , Daniel se tient debout , mains sur la table et penché en avant pour montrer son ascendant.

Il est prêt à rugir à tout instant .
Ce n'est pas nécessaire, son adversaire souffle comme un buffle, avant de battre en retraite et de claquer la porte derrière lui .

Et me voici là, collée à cette chaise, seule chose qui maintienne mes pieds au sol .

Les mots de Daniel hantent mon esprit et me glacent le sang .
Ce n'est pas la première fois que je les entend mais c'est la première fois que je les prend au sérieux .
Daniel s'est littéralement transformé l'histoire d'un instant . Son calme olympien s'est changé en une fureur brut et incontrôlable. En 16 ans d'amitié je ne l'avais encore jamais vu aussi déchaîné .

Dorénavant c'est clair , il s'est passé quelque chose de bien plus sombre avant l'accident. Et Daniel en est probablement la cause .

Il faut que je découvre de quoi il s'agit !
Car son cri, était un cri de douleur , de torture même !
Je ne laisserais plus ça arriver .
Rester assise en assistant impuissante à cette scène déchirante ? Plus jamais .

Fin du chapitre 29

The moral of the storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant