La Geste de Bhâalt

Chapitre 2

À nouveau, Bhâalt multiplia les esquives, les parades et les coups puissants. Quelques instants plus tard, trois macchabées supplémentaires jonchaient le sol souillé de sang. Ces dernières attaques renseignèrent le général sur son état de fatigue. S'épuiser aussi vite ne lui ressemblait pas. D'ordinaire si endurant, il parvenait difficilement à maintenir le rythme. Il reprit son souffle et repensa un instant à la situation.

Mais quelles raisons les poussent à nous haïr de la sorte ? Avons-nous trahi un de nos engagements à leur égard ? Mais quand bien même, cette guerre serait-elle justifiée pour autant ? Damnation, c'est à n'y rien comprendre !

Il n'eut pas le temps de laisser sa respiration se calmer, d'autres adversaires le chargèrent. Le premier tenta une attaque d'estoc. Bhâalt dévia la lame. Des étincelles brillèrent un moment avant de se dissiper aussitôt. Il vrilla sur lui-même et son bouclier brisa plusieurs côtes. Une lame de hache se jeta vers sa gorge comme une bête sauvage. Le général se baissa, passa la défense de son adversaire et le transperça d'un mouvement vif. Il n'en restait plus qu'un. Abruti par la folie qui couvait dans ses yeux, ce dernier se jeta, poignard en main. L'épée de Bhâalt vola jusqu'à perforer le buste de l'enragé. L'impact brisa l'élan du barbare qui s'effondra comme un pantin. Une flèche rebondit tout à coup sur le heaume de Bhâalt et il fut sonné.

Un Nordique profita de l'instant et le percuta de tout son poids avant de l'immobiliser au sol. L'homme avait la carrure d'un taureau et Bhâalt crut qu'on lui avait lancé un tonneau dans la poitrine. La respiration coupée, il chercha l'air avidement. L'homme était un vrai bestiau et le général avait toutes les peines du monde à se libérer de son emprise. La délivrance apparut sous les traits de Siméon qui abattit son arme sur la nuque du forcené. Une cascade rubis se déversa sur le plastron du général, mais au regard de son état, il n'était plus à ça près.

— Merci, Siméon, fit Bhâalt en tendant sa main pour récupérer son épée que lui tendait le soldat. Par les couilles du Razkar, il n'était pas nourri qu'à la soupe celui-là. Il nous faut reprendre du terrain Siméon !

Abruti par l'épuisement, le soldat ne répondit même pas. Lui aussi avait constaté que leur état n'était pas normal. Mais il n'avait pas assez d'énergie pour se poser trop de questions à ce sujet. D'un même mouvement, ils s'élancèrent vers un groupe de barbares qui donnait du fil à retordre à un régiment de soldats. L'épée de Bhâalt chanta et l'acier pourfendit chair et os. Des éclaboussures jaillirent, des membres furent tranchés et des entrailles tombèrent, fumantes et malodorantes. Les remparts étaient le témoin d'une scène d'épouvante où gloire et honneur s'étaient inclinés au profit de la simple survie.

— Bénis soient les dieux, les Nordiques ne connaissent pas la magie ! s'écria un soldat à la crinière brune ébouriffé.

Il avait écopé d'une méchante estafilade le long de l'arcade ; ça lui faisait un genre de bandeau naturel sur le côté droit de la figure. L'extrémité de son bras gauche était enrubannée d'un linge devenu noirâtre. La blessure dissimulée ne s'arrêtait pas de couler. L'homme répondait au nom d'Obrago. Il avait dû perdre une grande quantité de sang. Il tenait malgré tout contre l'envahisseur. Livide et à moitié pantelant, il poursuivit à l'attention de Bhâalt :

— Mais comment ont-ils pu arriver jusqu'ici ? C'est incompréhensible ! Général, avez-vous des nouvelles ? Aura-t-on des renforts ?

L'expression du général en dit long et les soldats alentour comprirent qu'il n'y avait pas d'espoir à placer en une quelconque aide extérieure.

— Plus qu'à vendre chèrement sa peau, alors, acheva Obrago en crachant sur le sol.

Il avait la cinquantaine passée. Des batailles, il en avait vu. Le vieux soldat estima avoir suffisamment vécu et mourir pour sa cité lui parut un sort finalement honorable. D'autres défenseurs, plus jeunes, n'eurent pas le loisir d'éprouver cette maigre consolation.