Chapitre 12

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Nouvel éclair.

Nouvel effroi qui s'empara de Bhâalt.

Assieds-toi, nous avons à discuter... annonça la voix spectrale qui semblait s'habituer peu à peu à parler de nouveau.

Bhâalt avait les cordes vocales paralysées par le vertige que lui occasionnait tel spectacle. Il ne put qu'obéir en silence. Derrière le mur de son crâne, ses pensées s'étaient arrêtées, impressionnées par la sombre entité. Le général rassembla toutes les forces qui l'habitaient et s'autorisa une question d'une voix qu'il rendit plus assurée qu'il ne l'était en réalité.

— Comment suis-je arrivé ici ?

— Tu es arrivé ici, parce que je l'ai voulu. C'est par ma volonté que tu te trouves devant moi. Mais n'aie crainte, tu te réveilleras bientôt, ailleurs. À l'abri, j'y ai veillé.

Néphaïsto s'exprimait de plus en plus clairement. Les rouages de ses organes vocaux s'adaptaient à son débit de parole. Après avoir fait le plein de force, il poursuivit son récit.

— Ne suis-je donc pas mort, ô divin ? osa demander Bhâalt qui s'efforçait de capturer le sens des paroles échangées.

— La distance que tu as parcourue dans l'eau t'avait quasiment pourri les chairs et les impacts rocheux avaient détruit tes os. Ton corps était mort depuis longtemps. Il était froid et la moisissure n'allait pas tarder à te ronger de l'intérieur comme une bête avide. Mais il subsistait dans ton être pourrissant, une étincelle fragile de ton essence. J'ai redonné force à cette essence, je l'ai nourrie. En lui insufflant une partie de mon pouvoir. De ce qu'il m'en reste, du moins. Tu es désormais mon débiteur Bhâalt. Et nos destins, comme passés, présents et futurs, sont dorénavant liés...

Bhâalt était dépassé par ce qu'il entendait. La conversation prenait un tour que Bhâalt n'appréciait vraiment plus. La situation lui échappait et la folie, une fois de plus, démangeait par morsures voraces les verrous de sa raison. Il était là, mais pas là. Mort, mais pas mort. Toutes ces informations abstraites se cognaient les unes aux autres dans les méandres de son cerveau. Cependant, il accrocha une pensée qui résonnait plus que les autres.

— Lié ? Lié à toi ? Ton débiteur ? Que veux-tu dire par là ?

— Vois mes chaînes, Bhâalt. Ces chaînes qui depuis près de mille ans me retiennent. Vois-les bien... Ose les oublier et elles seront tiennes à jamais, car ce que j'ai pu donner, je peux le reprendre. Et, la vie qui t'a été accordée peut très bien t'être arrachée. Je n'ai guère de pouvoir sur l'extérieur, mais j'ai tout pouvoir sur toi, mortel...

Et comme pour illustrer ses propos, les flammèches de ses yeux se mirent à luire avec une insistance renouvelée, crépitant tel un feu de bois. Le corps de Bhâalt se mit à brûler de l'intérieur.

Un cri effroyable trancha le silence de la pénombre en fuyant d'entre les lèvres du guerrier. Ce dernier s'était jeté à terre, roulant au sol pour tenter d'échapper à cette torture ineffable qui s'était emparée de lui. Il ignorait le motif pour lequel la divinité le torturait ainsi. Que pouvait-elle lui vouloir ? Quel avait été son tort pour se faire malmener de la sorte ? Quel malheur avait-il pu provoquer pour s'attirer les foudres d'un être pareil ? Il surmonta la souffrance et put prononcer quelques mots sur un ton où rage et incompréhension se mélangeaient.

— Arrête ! Je t'en prie ! rageait le guerrier avec des yeux livides et des perles de sueur qui inondaient son visage aux traits déformés.

— Tu m'aideras, Bhâalt. Indépendamment de ta volonté, tu m'aideras...

— Arrête ! hurla le supplicié en accompagnant sa plainte d'un nouveau cri.

Des ruisselets de sang coulèrent soudainement de son nez et du bord de ses yeux. La douleur se propageait jusque dans les fondations de son esprit, fissurant sa raison et éclatant ses pensées. Il martela le sol de ses poings de désespoir, mais ses tourments n'en furent que plus aigus.

La Geste de BhâaltOù les histoires vivent. Découvrez maintenant