Chapitre 7

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Un regard rapide vers le château lui indiqua que les portes étaient bien trop loin de lui à présent.

Qu'importe maintenant ? Qu'importe finalement ?

— Siméon, s'entendit-il dire au cadavre du soldat trépassé, attends-moi quelques instants, mon ami. Quelque chose me dit que je vais te rejoindre sous peu. On pourra enfin quitter ensemble ce foutu carnage.

Se dressant de toute sa hauteur, il défia de sa carrure musclée, les remparts suintants de morts qui s'étiraient vers le ciel. Il resserra ses épaulières d'un geste vif et précis, réajusta son heaume et la prise sur son bouclier. Son action serait sans doute dérisoire pour l'issue fatidique de la guerre, mais il ne serait pas dit que Bhâalt, général de Brise-écume, succomberait sous les multiples flèches fichées dans son dos. Sa mort, il la verrait de face. Il la prendrait de front comme les titans de jadis qui s'élevaient au sommet de la gloire, au-dessus de la mort elle-même.

Tu vas mourir...

Oui, il allait mourir. Ici et maintenant. Mais il tomberait en Héros en livrant en ultime offrande à sa vie et à sa ville, un carnage digne des plus grands récits.

Un crachat blanc teinté de rose gicla de ses lèvres et se précipita sur le sol pavé, indifférent à tous les cadavres qui s'y trouvaient. Le vent souffla. Un silence profond arrêta le temps. Dans la chape brumeuse du toit du monde, une percée laissa jaillir un faisceau éclatant qu'accrocha le plastron du guerrier.

Bhâalt entama sa course.

Ses bottes frappaient violemment à chaque foulée sous la force de ses jambes. Il atteignit les premières marches en un instant. Trois soldats allèrent à sa rencontre. Il les évinça par d'impitoyables mouvements d'épée. Un Nordique bedonnant fondit sur lui, une masse dans chaque main. Bhâalt lui brisa une rotule à l'aide du bouclier et l'acheva d'un coup dans la glotte. Un autre s'était saisi d'une lance et balayait l'air devant lui. Le général feinta sur sa gauche. Le bouclier dévia le fer de lance qui perfora l'épaule d'un barbare voisin. Son épée fusa comme un éclair dans le ventre de l'assaillant. Ralenti par la lance fichée dans son épaule, le barbare n'eut pas le temps de se baisser. La lame de Bhâalt mordit dans son crâne.

Brusquement, un carreau vint percuter sa cuirasse et le déstabilisa une fraction de seconde. Un soldat ennemi en profita pour lui envoyer un coup de pied en plein torse. Bhâalt roula le long des marches. Sa chute formula une symphonie de grognements rauques et de tintements d'acier. Il arriva en bas des marches, éreinté mais toujours déterminé. Sa cuirasse témoignait des signes de fatigue. La chute en avait enfoncé quelques parties. La respiration du héros se faisait de plus en plus pénible.

Il suffoquait.

Non, non pas comme ça... Dieux éternels, pas comme ça !

Il entendait au sommet de l'escalier, un homme vociférer des ordres à son encontre dans la langue commune.

— Abattez-le ! Nom d'un chien galeux, abattez-le !

Bhâalt sentit soudainement un choc à son épaule et une douleur fulgurante traversa tout son bras.

Il serra les mâchoires et accusa la douleur qui se répandait dans son bras. Une flèche avait pénétré la jointure et lui faisait un mal de chien. D'autres traits sifflèrent autour de lui en frôlant son casque. Il se releva néanmoins et chargea de nouveau, puisant dans ses ultimes ressources. La perspective de la mort lui accordait une force redoutable. Malgré la souffrance, il se sentit embrasé de l'intérieur. Une détermination infaillible le remplit alors qu'il effleurait sa propre fin.

Comme en transe, Bhâalt percuta les premiers rangs adverses. Il distribua la mort coup après coup, semant un fléau funeste chez les barbares. Le général était au cœur de la mêlée. Seul, face à une tempête de violence et de visages sordides. Les coups pleuvaient sur lui, mais il ne s'en souciait plus. Il avait accepté la douleur et la mort.

Une hache émoussée manqua de peu sa gorge. Il riposta avec frénésie. Un hurlement de rage franchit ses lèvres tandis que son pommeau écrasait un nez. Le bruit sec lui apporta une satisfaction et il redoubla son attaque. Le visage en sang, son adversaire chuta.

Il aperçut à quelques pas de lui un nordique bien plus massif que les autres. Celui-là même qui avait donné des ordres plus tôt. La brute capta le regard de Bhâalt. La frayeur s'empara de lui et ses membres se mirent à trembler. Peu désireux de passer pour un lâche aux yeux de ses hommes, il se ressaisit.

De nouveau, le général laissa libre cours à toute la bestialité qui couvait en lui. Il envoya son pied droit enfoncer le genou d'un jeune téméraire qui tentait de détruire son pavois. Une hallebarde manqua in extremis de le soulager de sa tête. Il vrilla sur lui-même et trancha la main d'un forcené au visage tatoué. Il enchaîna aussitôt en lui brisant une pommette d'un violent coup de coude. Le bruit sec résonna malgré le vacarme alentour. Il se retourna juste assez vite pour dévier une dague qui filait droit vers sa tempe et répliqua par un coup d'estoc dans l'estomac de son assaillant. Des viscères malodorants glissèrent de leur contenant de chair et se répandirent sur le sol.

Le héros de Brise-écume était encerclé. Mais les barbares avaient cessé de l'attaquer, probablement dissuadés par la dizaine de cadavres qui se trouvait à ses pieds.

Nulle échappatoire ne s'offrait à lui. Les effluves de sang chaud, de l'acier martelé, de sueur et de peur lui faisaient tourner la tête. Des regards hargneux le dévisageaient sans bouger.

Un cercle compact s'était formé autour de lui.

— Tu ne veux donc pas mourir ? cria le colosse ennemi pour couvrir le tumulte environnant. Qui es-tu, toi qui n'as pas peur de fondre seul sur les rangs de mes hommes ?

Bhâalt foudroya l'individu d'un regard pénétrant. Une haine viscérale hurlait dans ses entrailles. Le capitaine avait une voix éraillée. Des tatouages aux symboles décousus recouvraient l'entièreté de son visage et se poursuivaient jusqu'au torse. Une monstrueuse balafre striait sa poitrine. Elle semblait récente et recousue par un véritable boucher.

— Et toi, qui es-tu pour te dissimuler derrière tes hommes tandis qu'ils meurent par dizaines ?

Le barbare eut un rictus haineux. La remarque avait fait mouche.

— Je suis Déron, Capitaine du clan Dardauh. Cette cité nous appartient à présent.

— Dardauh ? s'étrangla Bhâalt.

Il avait l'impression de recevoir un coup de couteau en plein cœur. Dardauh était un ami à lui. Un homme des plus honorables qu'il avait rencontré lors des affrontements contre les drek'zils. Les deux individus s'étaient immédiatement appréciés. La traitrise du nordique lui parut bien plus douloureuse que ses blessures.

— Je ne comprends pas. Pourquoi Dardauh et les siens s'en prennent-ils à Brise-écume ? Avez-vous déjà oublié l'aide que nous vous avons apportée ?

Voyant que Déron ne répondait pas, Bhâalt poursuivit. Quitte à mourir ensuite, il était bien décidé à connaître les raisons de cette guerre.

— Quel motif vous pousse à nous assiéger ?

— Les raisons de tout ceci te dépassent, soldat. Bientôt, le monde sera le reflet de ce que tu vois aujourd'hui. Sang, violence, carnage. Seuls les plus forts survivront à la purge qui s'annonce.

Le général était abasourdi. Le sens de ces propos lui lacérait les entrailles. Ses inquiétudes étaient donc fondées. Brise-écume n'était qu'une étape. Le nordique semblait attendre une réponse. Il se délectait de l'effet de ses mots.

Ce moment de répit permit au général d'étudier ces ennemis. Ils avaient les yeux rouges, tous autant qu'ils étaient. D'épaisses veines sombres remontaient le long de leurs cous et pulsaient d'une horrible façon. La frénésie des combats ne lui avait pas permis de le remarquer aussi précisément jusque-là. À présent qu'ils étaient immobiles, il pouvait les observer plus minutieusement. Il ne reconnaissait toujours pas les couleurs et blasons qui paradaient sous ses yeux.

Il avait été en pays nordique à plusieurs reprises et aucun des signes visibles qui ornaient leurs armures ne lui évoquait quelque chose de connu. L'homme avait parlé de Dardauh. Pourtant, aucun étendard ne présentait le corbeau argenté du clan de son ancien ami. Les dessins que les assaillants affichaient plongeaient Bhâalt dans un profond sentiment de malaise. Une image lointaine émergea en écho à ces sordides symboles. Il ne parvint toutefois pas à mettre le doigt dessus ni à en identifier l'origine.

La Geste de BhâaltOù les histoires vivent. Découvrez maintenant