Chapitre X : Curiosité de grogne-cœur

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     Avant même que je ne rentre dans l'immeuble, j'ai senti que quelque chose d'inhabituel était en train de se passer. Trop de bruits entendus depuis l'extérieur. Alors qu'est-ce que ça doit être à l'intérieur ?

     En ouvrant la porte en verre, je dois l'avouer, je ne m'attendais pas à ça. Plusieurs femmes sont en grande discussion avec M. Durand, qui est apparemment plutôt calme et réservé. Je remarque, à ses pieds, plusieurs bouquets de fleurs dans les tons jaunes et orange. Et je ne tarde pas à savoir ce que font ces compositions florales ici dès qu'il m'aperçoit.

   - Oh, Mme Santerre !! Vous tombez au bon moment, j'ai quelque chose pour vous !

     Et il se saisit d'un des bouquets à ses pieds et me le tend, apparemment très fier de ce geste.

   - C'est pour m'excuser pour hier, explique-t-il avec un clin d'œil pendant que je prends le cadeau. Et pour toutes les fois où j'ai encombré ou sali l'immeuble. Ils ne sont peut-être pas bien gros, mais je me suis dit que cela ferait plaisir à tout le monde.

   - Oh, euh, merci M. Durand. Mais je dois vous laisser, il se fait tard et je dois m'occuper de mes animaux...

     Je commence alors à monter vers mon palier, juste à temps. Les mauvaises langues sont en train de se délier et j'ai le temps d'entendre :

   - Elle a raison de se rabattre sur des bestioles en tous genres, elle n'a pas les hanches assez larges pour accoucher. Regardez, on dirait...

     Dieu merci, je n'ai pas à écouter le reste de la conversation. Franchement, qui sont-elles pour juger quelqu'un sur son apparence ? Et surtout pour dire de tels commentaires ?

     Je tente de mettre leurs mots dans un coin de mon cerveau, avec toutes ces remarques qui n'ont pas d'autres buts que de me rabaisser. Et il y en a un beau paquet. Si je devais toutes les citer, je dirai qu'elles me prendraient au moins une bonne moitié de page. Il y en a des classiques, du genre sans-cœur, froide, tyrannique, bref, celles que tout le monde peut sortir sans réfléchir. Et il y en a des plus... exotiques.

     J'ai ainsi appris que j'ai "la capacité à sourire d'un ouistiti mort après avoir grandi en captivité dans la violence, après avoir vu toute sa famille se faire tuer et après avoir été scalpé vivant". Façon très originale de dire que je suis peu souriante. Je n'ai pas eu le temps de féliciter la vieille dame qui m'a lancé ça pour son imagination, puisqu'elle s'est immédiatement jetée sur quelqu'un d'autre pour lui reprocher son comportement.

     Pendant que je fais mentalement un classement des meilleures répliques qu'on ait pu m'adresser, j'ouvre mécaniquement la porte de mon appartement. Un instant, je m'étonne encore de la propreté et de l'ordre qui y règne, avant de repérer une nouvelle scène de carnage.

     Je mettrai ma main au feu qu'il s'agit de Béryl, Lapis et Saphir.

     Comme pour me prouver mon raisonnement, une queue bleue apparaît au milieu de cadavre de choux étalés au milieu de la cuisine. Azur les regarde depuis un coin de la table, sifflant joyeusement devant ce spectacle. Je crois que j'entends Bucna mettre le feu à quelque chose, et Bidule qui tente tant bien que mal de calmer la salamandre tout en s'occupant des dégâts.

     Ce qui ne peut signifier qu'une seule chose.

   - Bidule ? As-tu ouverte la porte à la voisine ?

     Juste sa tête dépasse du seuil de la salle de bain, et je peux le voir surveiller l'intérieur avec méfiance tout en m'expliquant :

   - Oui, elle a laissé des choux et a offert des vêtements qui ne vont plus à sa fille. Pourquoi ?

Grogne-cœur  ~ TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant