Chapitre XVII : Concurrents de grogne-cœur

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    Je ne sais pas pourquoi mais, le lundi matin, il y a comme un rituel dans mon entreprise. À 8h30 pile, Delaïssa et deux autres collègues de confiance prennent d'assaut mon bureau pour y prendre le café. Barry aussi nous rejoint parfois, mais c'est plus rare. Ils se mettent alors à me raconter dans les moindres détails leur week-end, leur vie de famille, leurs problèmes, et je me retrouve à jouer à la conseillère de vie de mauvaise volonté.

    Enfin... Je les laisse quand même faire, parce que j'en apprends toujours beaucoup de leurs discussions. Est-ce que les conditions de travail ne sont pas trop lourdes ? Y a-t-il des rumeurs qui reviennent dans leurs équipes ? Ou même, est-ce que je peux tirer de leurs histoires des produits et services à proposer ? Bien sûr, ce dernier point était surtout d'actualité quand nos ventes étaient au point haut.

    Mais, aujourd'hui, le sujet qui revient le plus souvent est horriblement irritant.

  - Ils sont encore venus au pied du bâtiment pour recruter des employés ! rugit Brigitte, une nymphe avec de très longs cheveux châtains toujours noués en natte. Et ils ont même essayé de nous empêcher d'entrer !! Non mais, vous vous rendez compte !! Il faut que vous fassiez quelque chose, Madame Santerre !!

  - J'aurais pu en engloutir un ou deux, s'il n'y avait pas autant de témoins, grommelle mon assistante en agitant violement sa queue reptilienne. Et je suis d'accord, vous devez faire quelque chose.

    Je me contente de souffler sur mon thé à la menthe, réfléchissant à tous les moyens que je peux trouver pour me venger. Est-ce que je leur inflige une bonne malédiction du silence ? Simple, concise et propre. Ou alors, quelque chose d'un peu plus fort ? Une épidémie de gastro ? Une transformation en mouches particulièrement friandes de crottes ? Quoique, je vais peut-être un peu trop loin.

    Et si j'allais moi aussi devant leur lieu de travail pour recruter des salariés ? Ce serait de bonne guerre et pas disproportionné. Même si cela me demanderait de me mettre à leur niveau. Non, je vais trouver un autre moyen de me débrouiller.

  - Oh, allons, ils feraient d'adorables statues de pierre !!

    Je jette un coup d'œil vers Athéna. Au-dessus de ses hautes pommettes, ses iris jaunes brillent d'une joie mauvaise. Heureusement d'ailleurs pour nous que je les ai maudit, pour que la grande brune puisse travailler pour moi. Après tout, elle a une éthique professionnelle irréprochable et une efficacité à toute épreuve. Si elle n'était pas une gorgone et que toutes les entreprises ne lui avaient pas fermé leur porte pour cette seule raison, elle aurait trouvé un excellent travail.

    Maintenant, elle ne quitterait pour rien au monde son emploi.

  - Non. Athéna, si tu te risques à les pétrifier, tu risques la prison. Pareil pour toi, Delaïssa, si tu veux les manger. En plus, je ne voudrais pas que tu attrapes une maladie ou quoi que ce soit d'autre. Je préfère plutôt continuer d'avancer sur mon plan de malédiction à tête chercheuse et de les battre à la présentation dans quatre semaines.

    Elles me jettent des regards irritées et je peux voir qu'aucune ne partage ma décision. Mais, avant que l'une d'entre elles ne disent quoi que ce soit, le bruit caractéristique des sabots qui claquent sur les marches d'escalier annoncent l'arrivée d'un employé bien maladroit. Et avec des fesses dodues.

    Suivant mes prédictions, Barry fait irruption dans le bureau, essoufflé. Son regard se pose sur moi mais, avant qu'il puisse dire quoi que ce soit, il s'affale à moitié contre un siège, s'y accrochant de toutes ses forces pendant qu'il reprend son souffle. En même temps, c'est un centaure avec une moitié de poney. Peut-être que s'il avait du sang de trotteur français... Et s'il faisait plus de sport...

Grogne-cœur  ~ TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant