16 - La pression monte

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Ils entrèrent dans le bureau de l'Amekage comme si on les y avait poussé. La lumière semblait y être plus grise que d'habitude, et le vent qui s'engouffrait de la grande percée dans le mur, plus froid. Ibarane Chiyuu, assise derrière son bureau, les mains jointes, écoutait ses conseillers Anuki et Sorasu qui parlaient de manière agitée. Jamais encore Sôma n'avait vu l'Amekage aussi concentrée.

- Henshin, Sôma ! s'écria-t-elle en retrouvant ses traits joyeux habituels sur son visage, stoppant net la conversation des conseillers. Merci d'être venus si rapidement. Je crois savoir que vous étiez les premiers présents sur place, après Zarekoto ?

Les deux genins opinèrent de la tête. Ils avaient découvert Zarekoto et Odoke dans le parc moins deux heures auparavant. Ils n'avaient rien pu faire : Odoke était déjà mort.

- D'après nos experts, l'assassin venait juste de commettre son meurtre. Nous avons tenté d'interroger Zarekoto pour savoir s'il avait vu quelqu'un dans le parc mais il est encore sous le choc. Vous vous doutez que la situation est très grave. Non seulement l'un de nos camarades est mort, mais cela s'est passé au sein même de notre village. Tout Ame a été bloqué. Personne ne peut plus en sortir, ou y entrer. Nous pouvons encore attraper l'assassin mais nous devons agir vite. C'est pourquoi il est important que vous nous racontiez ce que vous avez vu. Une personne, un objet... le moindre détail peut nous être utile.

Comme si elle s'était aperçut de la gravité de ses propos, Chiyuu décrocha soudainement un sourire amical aux genins, faisant disparaître ses yeux derrière deux fines lignes de cils noirs.

- Nous n'avons rien vu, affirma Henshin.

L'Amekage porta son regard vers Sôma mais il avait beau repasser ses souvenirs en boucle, il n'avait rien remarqué non plus.

- Je suis désolé, articula-t-il avec regret.

Chiyuu leur élargit son sourire d'une manière qui se voulait rassurante, mais qui n'opérait pas complètement.

Sorasu les raccompagna à la porte. Elle leur annonça que la veillée funèbre se ferait le lendemain midi, au bord de la rivière comme le voulait la coutume, afin de rendre hommage à Odoke.

- Qui a fait ça ? s'entendit dire Sôma tout à coup .

Henshin et Sorana le regardèrent sans ciller, mais aucun d'eux ne lui répondit.

***

Henshin et Sôma avaient repris le chemin du retour dans un silence quasi complet. Ils observaient les villageois s'agiter dans tous les sens, la peur désormais inscrite sur leur visage. Nul doute que la terrible nouvelle avait déjà fait le tour du village. Étrangement Sôma avait également l'impression que la vie s'était ralenti, comme si la mort d'Odoke avait endolori l'ensemble du corps d'Ame. Zarekoto avait perdu un frère, Sôma et Henshin un camarade, les villageois, un fils.

La pluie n'avait cessé de laver le sol depuis plus de deux heures mais Sôma savait que rien n'effacerait la vision de Zarekoto tenant fermement son frère mort dans ses bras. Cela faisait longtemps que la pluie ne lui avait pas semblé aussi triste.

- Ce village n'est plus ce qu'il était, finit par lâcher Henshin.

- Que veux-tu dire ?

- J'aimais à croire que nous étions en sécurité ici à Ame, mais ce qui est arrivé à Odoke prouve encore une fois que ce n'est pas le cas.

Devant le regard dubitatif de Sôma, Henshin développa :

- D'abord, l'un de nos chunins est mystérieusement pourchassé par deux puissants ninjas et maintenant l'un de nos amis se fait tuer au sein même du village... Ça fait beaucoup de choses en peu de temps. Trop de choses.

Henshin avait adopté un ton dur et froid. Son regard cobalt avait pris une teinte plus foncée et ses cernes s'étaient assombries davantage.

Pour une fois, Henshin marqua une courte pause pour réfléchir à sa formulation. Quand il reprit la parole, ce fut avec un peu plus de douceur :

- C'est vrai que depuis la fin de la Quatrième Grande Guerre Ninja, il n'y a plus de querelle officielle avec les villages et les nations étrangères mais ça ne veut pas dire que le danger n'existe pas. Ame a toujours été victime des conflits opposants nos voisins parce que nous sommes un petit pays enclavé dans les terres. Nous avons beaucoup souffert à cause des combats mais au moins nous savions nous défendre. Personne ne nous cherchait querelle lorsque Hanzô la Salamandre dirigeait le village ! Je sais que c'était un tyran, mais l'exemple parle de lui-même. Les faits sont là : depuis qu'Ibarame Chiyuu est Amekage et que nous avons adopté un style de vie similaire aux autres villages, nous avons perdu de notre force. Nous sommes devenus faibles. Nous ne savons plus nous défendre. Ces derniers évènements le prouvent : même chez nous nous ne sommes plus en sécurité.

Sôma prit quelques minutes pour réfléchir aux arguments de son ami. Il savait qu'il avait raison sur de nombreux points : les bons ninjas se faisaient plus rares depuis la mise en place de l'Academie cinq ans auparavant, les étrangers étaient maintenant bienvenus alors que quelques années plus tôt encore, seuls les villageois et les habitants du Pays de la Pluie étaient autorisés à pénétrer dans le village. Une politique stricte qui avait néanmoins permis au village et à ses habitants de vivre au calme et en sécurité. Jamais il n'y avait eu de meurtre comme celui-ci auparavant à Ame. Mais cela voulait-il dire forcément que la politique de l'Amekage était trop faible, trop libérale ? Que la nouvelle vie instaurée par Chiyuu était mauvaise ? Sôma avait pourtant l'impression que le village et ses habitants n'avaient jamais été aussi unis et solidaires. Aujourd'hui, les villageois se faisaient confiance, travaillaient ensemble et vivaient plus sereinement que jamais. Fallait-il privilégier la sécurité au bonheur, ou le bonheur à la sécurité ?

- Tu as raison sur certains points, répondit Sôma. Mais tu te trompes aussi sur un autre : la Shodai Amekage n'apporte que du bon au village.

Henshin fixa son regard sur Sôma. Lorsqu'il le détourna, il conclua :

- Dans un cas comme dans l'autre, les choses doivent changer.

Le Lagon RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant