Chapitre 11

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Lorsque Laurie arriva dans la salle du journal le lendemain, elle trouva une enveloppe blanche sur le sol. Quelqu'un avait dû la glisser sous la porte, tôt ce matin-là ou bien la veille, en fin d'après-midi. Laurie la ramassa avant de fermer la porte derrière elle. À l'intérieur de l'enveloppe se trouvaient un article manuscrit et une note d'accompagnement. Laurie commença par lire le petit mot :

Chers rédacteurs du Grapevine, J'ai écrit cet article pour le journal. N'y cherchez pas mon nom, vous ne le trouverez pas. Je ne veux pas que mes amis et les autres lycéens sachent que j'en suis l'auteur.

Les sourcils froncés, Laurie se pencha ensuite sur l'article. En haut de la page, l'auteur anonyme avait écrit un titre :

Rejoignez la Vague, ou sinon...

Je suis en première, ici, au lycée Gordon. Il y a trois ou quatre jours, mes amis et moi avons entendu parler de cette espèce de mouvement, la Vague, que tous les terminales rejoignaient. On a voulu en savoir plus (tout le monde sait que les premières veulent toujours copier les terminales). On a constitué un petit groupe pour assister au cours de M. Ross afin de se faire une idée. Certains de mes amis ont apprécié ce qu'ils ont vu, d'autres moins. Pour moi, tout cela ressemblait à un jeu stupide. À la fin du cours, alors qu'on venait de quitter la classe, un élève de terminale nous a arrêtés dans le couloir. Je ne le connaissais pas, mais il prétendait faire partie de la classe de M. Ross et nous demandait si nous voulions rejoindre la Vague. Deux de mes amis acceptèrent, deux autres dirent qu'ils ne savaient pas, et moi j'ai répondu que je n'étais pas intéressé. L'élève de terminale s'est mis à nous vanter les mérites de la Vague. Il affirmait que, plus les membres seraient nombreux, mieux ce serait. Et que presque tous les terminales avaient rejoint le mouvement, ainsi que la plupart des premières. Du coup, mes deux amis indécis décidèrent de rejoindre la Vague. Alors le terminale s'est tourné vers moi et m'a lancé : « Et toi, tu ne veux pas faire comme tes copains ? » Je lui ai rétorqué qu'ils seraient toujours mes amis même si je ne faisais pas comme eux. Ensuite, il n'a pas arrêté de me demander pourquoi je ne voulais pas rejoindre le mouvement. Je lui ai simplement répondu que je n'en avais pas envie. Là il s'est mis en colère. Il nous a prévenus que, bientôt, les membres de la Vague ne voudraient plus d'amis en dehors du mouvement. Il a même déclaré que je perdrais tous mes amis si je ne les rejoignais pas. À mon avis, il essayait de m'intimider. Mais cela s'est retourné contre lui. L'un de mes copains lui a sorti qu'il ne voyait pas pourquoi quelqu'un devrait se forcer à rejoindre le mouvement s'il n'en avait pas envie. Mes autres amis l'ont approuvé, et nous sommes tous partis. Aujourd'hui, j'ai appris que trois de mes copains avaient tout de même rejoint la Vague, recrutés par d'autres terminales. J'ai revu l'élève de la classe de M. Ross dans le couloir et il m'a demandé si j'avais enfin changé d'avis. Je lui ai dit que je n'en avais nullement l'intention. Alors il ma répliqué que si je ne les rejoignais pas bientôt, ensuite il serait trop tard.

Tout ce que je veux savoir, c'est : trop tard pour quoi ?

Laurie replia l'article avant de le glisser dans l'enveloppe. Peu à peu, ses doutes concernant la Vague se précisaient.

Lorsqu'il sortit du bureau du principal, Ben aperçut un groupe de lycéens en train d'afficher une grande bannière de la Vague dans le couloir.

C'était le jour du rassemblement pour encourager l'équipe de football - ou plutôt du meeting de la Vague, se corrigea-t-il. Plus il avançait dans le couloir, plus les élèves étaient nombreux, si bien qu'il eut l'impression de faire le salut de la Vague en continu. À ce rythme-là, je vais finir par avoir une crampe, se lamenta-t-il.

Plus loin dans le couloir, près d'une table, Brad et Eric distribuaient des brochures en clamant : « La Force par la Discipline, la Force par la Communauté, la Force par l'Action. »

« Découvrez tout ce qu'il faut savoir sur la Vague, lançait Brad aux élèves qui passaient devant lui. Tenez, voilà une brochure. »

« Et n'oubliez pas le meeting de la Vague cet après-midi, leur rappelait Eric. Travaillez tous ensemble et atteignez vos buts. »

Ben eut un sourire las. L'énergie débridée de ces gamins l'épuisait. Maintenant, des posters de la Vague étaient placardés sur chaque mur du lycée. Chaque membre de la Vague semblait impliqué dans des activités : le recrutement de nouveaux membres, la communication, la préparation du gymnase pour le meeting. Ben se sentait presque dépassé.

Au bout de quelques pas, il eut une drôle d'impression, comme si on le suivait. Il se retourna et vit Robert, qui lui souriait. Ben lui rendit son sourire avant de poursuivre son chemin, mais il s'arrêta de nouveau en s'apercevant que Robert le suivait toujours.

« - Robert, on peut savoir ce que tu fais ?
- Monsieur Ross, je suis votre garde du corps.
- Pardon ? »
Robert hésita un instant avant de répondre :
« - Je veux être votre garde du corps, répéta- t-il. Vous êtes notre leader, Monsieur Ross, non ? Je ne voudrais pas qu'il vous arrive quelque chose.

- Que veux-tu qu'il m'arrive ? s'enquit Ben, étonné par cette idée.

- Je sais que vous avez besoin d'un garde du corps, insista Robert en ignorant sa question. Je peux le faire, Monsieur Ross. Pour la première fois de ma vie, je sens que... en fait, plus personne ne se moque de moi, maintenant. J'ai l'impression d'appartenir à un truc spécial. »

Ben acquiesça.

« Alors, vous me laissez vous protéger ? Je sais que vous avez besoin d'un garde du corps. J'en suis capable, Monsieur Ross. »

Ben regarda Robert bien en face. Le garçon introverti qui manquait d'assurance était devenu un membre sérieux de la Vague qui s'inquiétait pour son chef. Mais de là à devenir garde du corps... Ben hésita un instant. Tout cela allait un peu trop loin, non ? Au fil du temps, il s'était rendu compte de la position importante dans laquelle ses élèves

l'avaient inconsciemment placé : il était le chef suprême de la Vague. Plusieurs fois ces derniers jours, il avait entendu les membres du mouvement discuter de ses « ordres » : l'ordre d'afficher des posters dans le couloir, l'ordre de recruter les premières et les secondes, même l'ordre de transformer le rassemblement sportif en meeting de la Vague.

Le plus fou étant qu'il n'avait jamais donné ces ordres. Pour une raison ou pour une autre, ces directives avaient surgi dans l'imagination des lycéens. Partant de là, les élèves avaient automatiquement supposé que c'était lui qui les leur avait données. Comme si la Vague avait pris vie et que, maintenant, ses élèves et lui se laissaient entraîner dans son sillage. Ben Ross observa Robert Billings. En son for intérieur, il savait qu'accepter la proposition de Robert revenait à accepter de devenir quelqu'un qui a besoin d'un garde du corps. Mais n'était-ce pas également nécessaire pour les besoins de l'expérience ?

« Très bien, dit-il. Tu peux être mon garde du corps. »

Un grand sourire illumina le visage de Robert. Ben lui fit un clin d'œil et repartit vers le bout du couloir. Avoir un garde du corps serait peut-être utile, se rassura-t-il. Il était essentiel pour l'expérience qu'il projette l'image du chef de la Vague. La présence de Robert ne ferait que renforcer cette image.

La VagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant